Tout le monde connaît cette phrase qu’aurait prononcée Archimède pour illustrer ses découvertes à propos du principe du levier. Celle-ci se termine par « et je soulèverai la Terre », ce qui marque assurément les esprits.
Certainement impressionnés par l’évocation de cette toute puissance, les financiers ont eux-aussi voulu disposer d’un tel principe et ont inventé leur propre effet de levier. Il ne s’agit plus alors d’une antique loi de mécanique, mais seulement d’une banale histoire de profit : pour gagner plus, il faut investir plus. Jusque là, rien de très novateur.
Où le levier intervient, c’est quand l’investisseur se dit que pour gagner encore plus, il faut qu’il investisse beaucoup plus, y compris de l’argent qu’il ne possède pas. Ainsi, on appelle tout simplement effet de levier, le fait d’emprunter de l’argent pour investir plus qu’on ne possède dans l’espoir de générer des gains supérieurs à ce qu’on aurait pu espérer avoir avec ses propres fonds.
Aujourd’hui, n’importe quel petit investisseur particulier a accès à cette possibilité. Il suffit d’ouvrir un compte-titre chez un courtier sur Internet et celui-ci met instantanément à votre disposition une couverture. Il ne s’agit pas de se protéger du froid, mais de vous offrir la possibilité d’engager des sommes que vous ne possédez pas sur les marchés, jusqu’à un certain point (dans la limite de la couverture).
Prenons un exemple : Vous disposez d’environ 1000 euros sur votre compte-titre et vous êtes absolument persuadé qu’une certaine action va monter rapidement. Celle-ci cote à 100 euros, vous en achetez donc 10. Admettons que cette action prennent 10% : vous revendez et vous avez gagné 100 euros. Ce n’est pas mal, mais complètement nul par rapport à ce que l’effet de levier aurait pu vous rapporter. Avec une couverture de 10.000 euros, vous auriez pu acheter 100 actions et ainsi gagner 1000 euros (avec seulement 1000 euros sur votre compte) soit une plus-value de 100% sur un seul coup. C’est beaucoup mieux.
Bien sûr, on peut aussi se prendre le levier dans la figure. Vous utilisez votre couverture et finalement votre action perd 10% : vous venez de perdre tout votre capital sur un seul coup. Pas mal !
Tout est question de prise de risque. Si vous gérez vous-même votre portefeuille, vous allez avoir tendance à être un minimum raisonnable, et encore… Avec la multiplication des produits financiers, n’importe quel particulier peut aujourd’hui utiliser ces leviers que ce soit simplement avec le SRD ou de manière plus compliquée avec les options, warrants ou autres CFD… bref toute une kyrielle d’investissements utilisant des effets de levier auparavant réservés à des utilisateurs avertis.
A ce sujet, j’ai récemment assisté à une conférence sur les warrants organisée par une grande banque allemande d’investissements. Je fus vraiment très surpris de n’y rencontrer quasiment que des personnes retraitées. La plupart connaissait les principaux fondamentaux boursiers, mais ma surprise ne fit que croître pendant que j’écoutais le conférencier conseiller à ces personnes raisonnables (qui à mon avis avaient mis un certain temps à constituer leur capital) d’investir massivement dans les warrants. Certes l’exposé était talentueux, les chiffres impressionnants, le diaporama projeté impeccable et les plaquettes distribuées vraiment brillantes, mais en discutant ensuite avec certaines des personnes présentes, je me rendis compte qu’elle n’avait pas compris grand-chose. Néanmoins elles étaient prêtes à s’y mettre, et quand je leur rappelais qu’elles risquaient de perdre tout le capital engagé dans ce genre de produit, j’avais l’impression d’être moi-même le vieux rabat-joie qui venait briser leurs espoirs.
Cependant, le problème avec les leviers n’est pas de savoir s’il est moral que des gens inexpérimentés l’utilisent, c’est plutôt de savoir jusqu’à quel point les personnes expérimentées peuvent l’utiliser sans risquer de faire tomber la Terre imaginairement soulevée par Archimède.
Quand une personne ne gère pas son propre argent et que son seul signe de réussite réside dans le pourcentage de profit qu’il réalise dans l’année, il est légitime qu’elle soit tentée par l’utilisation abusive du levier. Seulement, souvenons-nous d’Archimède qui nous rappelle qu’il faut également disposer d’un bon point d’appui. En finance, rien de plus facile : il suffit de s’appuyer sur une banque qui va elle-même s’octroyer des prêts pour tenter de gagner plus d’argent.
Où est le problème ? il y a des perdants et des gagnants, c’est une forme de spéculation comme une autre. Seulement, comme le principe du levier tend à se généraliser, le risque tend à se banaliser ce qui conduit forcément à quelques incidents de parcours. En effet, c’est quand la catastrophe arrive qu’on se met alors à médiatiser cet effet de levier et à le dénoncer.
La première dont j’ai entendu parlé fut celle de LTCM. Il s’agissait d’un hedge fund créé en 1994, et tout à fait sérieux car deux Prix Nobel d’économie en étaient associés. A l’époque, le contexte est porteur, les affaires tournent bien : d’environ 1 milliards de dollars à son lancement, le capital de LTCM frôle les 5 milliards en 1997. Seulement, la crise asiatique arrive et surtout la crise financière russe qui va à l’encontre des modèles mathématiques mis au point par les petits génies du fond. Bien sûr la faillite arrive, mais ce n’est pas le plus important. La véritable catastrophe est quand on se rend compte que ce seul fond a pris pour plus d’un trillion de dollars de positions sur les marchés (plus de 1000 milliards de dollars, soit 200 fois plus d’argent qu’il ne possédait réellement). Le système bancaire chancèle, on met en place un plan d’urgence et tout le monde trouve ça inimaginable. Décidément l’effet de levier, c’est beaucoup trop dangereux, on va faire attention.
Que fait-on dix ans après ? Des banques incitent les retraités à risquer leur capital sur intuitions tout en enjolivant les risques ; un président de banque paraît vraiment étonné quand les médias parlent d’un certain Jérôme qui a pris, à lui tout seul, des positions équivalentes à plus de trois fois les fonds propres de cette même banque. Bref, cette pratique ne s’est pas vraiment assainie, d’autant plus que ne ressortent à la surface que les incidents trop énormes pour pouvoir être facilement passés sous silence.
Dans le contexte de crise financière actuelle, la paranoïa guette le monde des affaires. Plus personne ne semble absolument sûr de rien. Les décideurs politiques parlent de dérives, de marchés financiers devenus incontrôlables qui menacent l’équilibre économique de la planète. Bref, il veulent introduire de la régulation, ce qui est normal étant donné que c’est leur travail. Mais comment fixe-t-on les limites ? Faut-il interdire toute pratique de l’effet de levier ? Tout emprunt à but spéculatif ? Seulement, n’oublions pas que tout investissement a par essence une finalité spéculative. Dans ce cas, toute régulation risquent d’impacter l’économie mondiale de manière très incertaine.
On le voit, il n’y a pas de solution simple et immédiate. Sauf qu’Archimède n’a jamais voulu soulever le monde, il s’est juste contenté de ce qui était à sa portée pour démontrer sa théorie. Tout le reste, n’est que le fruit d’expérimentations douteuses nées d’individus voulant profiter des lois de la physiques en les testant jusqu’à l’extrême. C’est valorisant quand on découvre l’énergie nucléaire, c’est plus inquiétant quand on commence à en faire des bombes qui menacent l’humanité.
E.B. // Moneyzine
Certainement impressionnés par l’évocation de cette toute puissance, les financiers ont eux-aussi voulu disposer d’un tel principe et ont inventé leur propre effet de levier. Il ne s’agit plus alors d’une antique loi de mécanique, mais seulement d’une banale histoire de profit : pour gagner plus, il faut investir plus. Jusque là, rien de très novateur.
Où le levier intervient, c’est quand l’investisseur se dit que pour gagner encore plus, il faut qu’il investisse beaucoup plus, y compris de l’argent qu’il ne possède pas. Ainsi, on appelle tout simplement effet de levier, le fait d’emprunter de l’argent pour investir plus qu’on ne possède dans l’espoir de générer des gains supérieurs à ce qu’on aurait pu espérer avoir avec ses propres fonds.
Aujourd’hui, n’importe quel petit investisseur particulier a accès à cette possibilité. Il suffit d’ouvrir un compte-titre chez un courtier sur Internet et celui-ci met instantanément à votre disposition une couverture. Il ne s’agit pas de se protéger du froid, mais de vous offrir la possibilité d’engager des sommes que vous ne possédez pas sur les marchés, jusqu’à un certain point (dans la limite de la couverture).
Prenons un exemple : Vous disposez d’environ 1000 euros sur votre compte-titre et vous êtes absolument persuadé qu’une certaine action va monter rapidement. Celle-ci cote à 100 euros, vous en achetez donc 10. Admettons que cette action prennent 10% : vous revendez et vous avez gagné 100 euros. Ce n’est pas mal, mais complètement nul par rapport à ce que l’effet de levier aurait pu vous rapporter. Avec une couverture de 10.000 euros, vous auriez pu acheter 100 actions et ainsi gagner 1000 euros (avec seulement 1000 euros sur votre compte) soit une plus-value de 100% sur un seul coup. C’est beaucoup mieux.
Bien sûr, on peut aussi se prendre le levier dans la figure. Vous utilisez votre couverture et finalement votre action perd 10% : vous venez de perdre tout votre capital sur un seul coup. Pas mal !
Tout est question de prise de risque. Si vous gérez vous-même votre portefeuille, vous allez avoir tendance à être un minimum raisonnable, et encore… Avec la multiplication des produits financiers, n’importe quel particulier peut aujourd’hui utiliser ces leviers que ce soit simplement avec le SRD ou de manière plus compliquée avec les options, warrants ou autres CFD… bref toute une kyrielle d’investissements utilisant des effets de levier auparavant réservés à des utilisateurs avertis.
A ce sujet, j’ai récemment assisté à une conférence sur les warrants organisée par une grande banque allemande d’investissements. Je fus vraiment très surpris de n’y rencontrer quasiment que des personnes retraitées. La plupart connaissait les principaux fondamentaux boursiers, mais ma surprise ne fit que croître pendant que j’écoutais le conférencier conseiller à ces personnes raisonnables (qui à mon avis avaient mis un certain temps à constituer leur capital) d’investir massivement dans les warrants. Certes l’exposé était talentueux, les chiffres impressionnants, le diaporama projeté impeccable et les plaquettes distribuées vraiment brillantes, mais en discutant ensuite avec certaines des personnes présentes, je me rendis compte qu’elle n’avait pas compris grand-chose. Néanmoins elles étaient prêtes à s’y mettre, et quand je leur rappelais qu’elles risquaient de perdre tout le capital engagé dans ce genre de produit, j’avais l’impression d’être moi-même le vieux rabat-joie qui venait briser leurs espoirs.
Cependant, le problème avec les leviers n’est pas de savoir s’il est moral que des gens inexpérimentés l’utilisent, c’est plutôt de savoir jusqu’à quel point les personnes expérimentées peuvent l’utiliser sans risquer de faire tomber la Terre imaginairement soulevée par Archimède.
Quand une personne ne gère pas son propre argent et que son seul signe de réussite réside dans le pourcentage de profit qu’il réalise dans l’année, il est légitime qu’elle soit tentée par l’utilisation abusive du levier. Seulement, souvenons-nous d’Archimède qui nous rappelle qu’il faut également disposer d’un bon point d’appui. En finance, rien de plus facile : il suffit de s’appuyer sur une banque qui va elle-même s’octroyer des prêts pour tenter de gagner plus d’argent.
Où est le problème ? il y a des perdants et des gagnants, c’est une forme de spéculation comme une autre. Seulement, comme le principe du levier tend à se généraliser, le risque tend à se banaliser ce qui conduit forcément à quelques incidents de parcours. En effet, c’est quand la catastrophe arrive qu’on se met alors à médiatiser cet effet de levier et à le dénoncer.
La première dont j’ai entendu parlé fut celle de LTCM. Il s’agissait d’un hedge fund créé en 1994, et tout à fait sérieux car deux Prix Nobel d’économie en étaient associés. A l’époque, le contexte est porteur, les affaires tournent bien : d’environ 1 milliards de dollars à son lancement, le capital de LTCM frôle les 5 milliards en 1997. Seulement, la crise asiatique arrive et surtout la crise financière russe qui va à l’encontre des modèles mathématiques mis au point par les petits génies du fond. Bien sûr la faillite arrive, mais ce n’est pas le plus important. La véritable catastrophe est quand on se rend compte que ce seul fond a pris pour plus d’un trillion de dollars de positions sur les marchés (plus de 1000 milliards de dollars, soit 200 fois plus d’argent qu’il ne possédait réellement). Le système bancaire chancèle, on met en place un plan d’urgence et tout le monde trouve ça inimaginable. Décidément l’effet de levier, c’est beaucoup trop dangereux, on va faire attention.
Que fait-on dix ans après ? Des banques incitent les retraités à risquer leur capital sur intuitions tout en enjolivant les risques ; un président de banque paraît vraiment étonné quand les médias parlent d’un certain Jérôme qui a pris, à lui tout seul, des positions équivalentes à plus de trois fois les fonds propres de cette même banque. Bref, cette pratique ne s’est pas vraiment assainie, d’autant plus que ne ressortent à la surface que les incidents trop énormes pour pouvoir être facilement passés sous silence.
Dans le contexte de crise financière actuelle, la paranoïa guette le monde des affaires. Plus personne ne semble absolument sûr de rien. Les décideurs politiques parlent de dérives, de marchés financiers devenus incontrôlables qui menacent l’équilibre économique de la planète. Bref, il veulent introduire de la régulation, ce qui est normal étant donné que c’est leur travail. Mais comment fixe-t-on les limites ? Faut-il interdire toute pratique de l’effet de levier ? Tout emprunt à but spéculatif ? Seulement, n’oublions pas que tout investissement a par essence une finalité spéculative. Dans ce cas, toute régulation risquent d’impacter l’économie mondiale de manière très incertaine.
On le voit, il n’y a pas de solution simple et immédiate. Sauf qu’Archimède n’a jamais voulu soulever le monde, il s’est juste contenté de ce qui était à sa portée pour démontrer sa théorie. Tout le reste, n’est que le fruit d’expérimentations douteuses nées d’individus voulant profiter des lois de la physiques en les testant jusqu’à l’extrême. C’est valorisant quand on découvre l’énergie nucléaire, c’est plus inquiétant quand on commence à en faire des bombes qui menacent l’humanité.
E.B. // Moneyzine
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