lundi 1 décembre 2008

Comment parler de la crise sans faire peur ?

Le monde est en crise, c’est du moins ce que l’on entend à longueur de journée dans les médias. Pourtant, la semaine dernière, un homme est mort écrasé par une foule de consommateurs prêts à tout pour faire de bonnes affaires à l’occasion du « Black Friday », nom assez cynique donné par les Américains au vendredi faisant suite au jeudi de Thanksgiving, et qui donne traditionnellement lieu à une kyrielle d’offres promotionnelles de la part de magasins voulant capter une clientèle faisant le pont ce jour là.

Ainsi, tout espoir n’est pas mort : la consommation pourrait reprendre, le moral des ménages ressurgir des tréfonds statistiques où on il s’était terré. La « positive attitude » semble vouloir redevenir à la mode car, à trop parler de crise, les médias commencent à casser l’ambiance et à lasser tout le monde. Voici donc quelques conseils pour utiliser « les mots de la baisse » sans passer pour un triste rabat-joie :

Crise : Evitez d’employer le mot seul car le mot prend une dimension trop globale, trop apocalyptique. Rajoutez-lui un domaine bien circonscrit (exemples : financière, immobilière, des subprimes, de nerfs…), ce qui permet de dédramatiser le terme et de le cantonner dans un domaine qui paraît assez abstrait (à moins que vous soyez un sale financier impliqué jusqu’au cou dans la spéculation de produits douteux, mais dans ce cas, vous vous êtes sans doute déjà « refait »). N’hésitez à présenter également la crise comme une opportunité (d’inventer des énergies ou des voitures propres, de réformer les règles de régulation financière…). Ça n’engage à rien, mais au moins on reste confiant car un avenir différent semble se profiler.

Récession : Evidemment, le terme n’est pas très positif, mais il est possible de vite le neutraliser. Pour cela, il suffit de le ramener à une dimension technique : « deux trimestres consécutifs de baisse du PIB ». Ainsi, ça ne paraît pas si dramatique : on se rassure en se disant que ce n’est qu’une mauvaise phase à passer. Néanmoins, pour éviter toute paranoïa, préférez-lui le terme « croissance négative ».

Croissance négative : Merveilleuse expression (oxymore) sans doute inventée par des économistes traités aux antidépresseurs. Certes, le qualificatif est associé à la négation mais l’essentiel de l’expression reste inscrite dans un cycle de croissance, postulat essentiel à la survie du système capitaliste. Enfin, surtout on ne parle pas de « décroissance », terme absolument interdit, utilisé par des écolo-marxistes qui veulent revenir à l’âge de pierre et nous faire manger du tofu !

Dépression : Terme rédhibitoire signifiant une longue agonie de notre économie « réelle ». Le mot est associé à une maladie qui mène parfois au suicide. C’est ainsi que les grandes dépressions connues par le passé ont souvent menées à des guerres, mondiales de surcroît. Certains économistes ont voulu voir dans ces guerres, un traitement de choc ayant réussi à redynamiser le patient. Certes, mais pour croire cela, il faut tout de même disposer d’une grande foi en la résurrection. A mon avis, ce mot est dangereux, destructeur et contagieux. Lui préférer n’importe quel autre.

Krach : Le mot reste associé à des marchés précis (financiers, immobiliers…), ainsi il paraît assez abstrait au plus grand nombre. De plus, le phénomène survient suite à une bulle, il intègre donc une part de justice, de rééquilibrage, de retour (certes violent) à la normale. On peut l’utiliser sans réel danger, son caractère anxiogène restant assez limité, sauf pour un petit nombre d’initiés. (Syn. : Eclatement)

Contraction : Très beau terme qui évite toute consonance trop négative. Aucune valeur n’est véritablement perdue, car l’économie ne fait que se contracter, comme si elle avait pris un peu froid ou un peu peur. Il suffit donc de se mettre un peu au vert, de se reposer, de laisser passer la fièvre, et le patient pourra repartir de plus belle. A utiliser sans réel danger.

Ralentissement : Ce mot a un peu la même connotation que « contraction » mais il est plus dangereux à utiliser. Après un ralentissement, il y a des chances pour que le cœur s’arrête. Or, justement c’est ce qu’on veut éviter à tout pris : la mort clinique du patient. Minimisez la portée du terme en lui associant des qualificatifs rassurants : « petit », « léger », « passager », etc.

Vous voilà maintenant armé pour redonner confiance aux investisseurs et aux consommateurs, nos deux « mamelles » de l’économie. Entrainez-vous et surtout soyez rassuré, dans quelques mois on ne comprendra même plus pourquoi vous continuez à parler de ce sujet. Néanmoins, gardez toujours ces conseils dans un coin de votre tête, juste au cas où…

E.B. // Moneyzine

samedi 15 novembre 2008

Quand la consommation devient une affaire de pauvres

L’éventualité d’une crise économique profonde et durable a tendance à faire ressurgir d’anciennes valeurs qu’on avait peut-être condamnées un peu vite. Les notions de frugalité, d’épargne ou de simplicité redeviennent en effet à la mode. Cela peut paraître surprenant dans un monde où l’hyperconsommation a longtemps constitué une finalité absolue, alimentée par le cercle vertueux d’une croissance infinie.

Bien sûr, ces anciennes valeurs remises au goût du jour ne ressurgissent pas de manière homogène à travers toutes les couches de la société. Elles apparaissent vertueuses principalement aux personnes dotées d’un revenu plutôt confortable. En effet, pour ces dernières, la crise est sans doute l’occasion d’une réaction salvatrice pouvant réhabiliter leur condition sociale et renforcer leur situation privilégiée.

D’un point de vie moral, le riche n’a finalement jamais vraiment accepté les excès de la consommation de masse. L’abondance de matérialité, ayant atteint des niveaux extrêmes, devient dès lors synonyme de vulgarité, voire même de déchéance.

La crise arrive ainsi à point : elle sert alors de prétexte pour se démarquer, pour enfin répondre à l’extravagante place qu’occupe les biens matériels dans la société. C’est là l’occasion pour les riches de refuser les caprices (composés de grandes marques) de leurs enfants, et de leur expliquer la nature et la valeur de l’argent. Ils en avaient envie depuis longtemps, mais la crise constitue réellement le déclencheur. A l’instar d’une cure de désintoxication que l’on repousse, même s’il on est conscient d’avoir un problème, le rejet du matérialisme vulgaire a été ajourné. Néanmoins, il parvient aujourd’hui à s’imposer, à devenir à la mode, et c’est un réel soulagement pour ceux qui sont vraiment riches.

Quel plaisir de goûter à son nouveau mode de vie, d’être conscient qu’on pourrait se jeter sur n’importe quel magasin en se laissant facilement enivrer par de nouvelles marchandises si attirantes. Mais la tentation n’est plus victorieuse. Au contraire, l’idée même qu’on pourrait succomber, mais qu’on arrive à résister, apporte une jouissance plus grande et plus profonde que celle procurée par la dépense en soi, devenue complètement fugace et superficielle. On redécouvre la satisfaction d’épargner, de compter et finalement de se rendre compte de sa richesse, non pas à travers la dépense mais au contraire grâce à une thésaurisation finalement beaucoup plus enrichissante et moralement plus acceptable.

Repousser ou renoncer à ses dépenses, savourer le désintérêt qu’inspirent les vendeurs ou les commerçants, ces parasites qui ne vivent que du bon vouloir de l’argent des autres : voilà un comportement digne et acceptable. Devant l’incertitude liée à l’avenir, il est alors temps de revenir aux fondamentaux : restons riches, préservons-nous des difficultés à venir, singularisons-nous par rapport à la masse dépensière !

Et oui, consommer est quasiment devenu une affaire de pauvres. Le développement de la consommation de masse (qui a atteint un niveau paroxysmique dans un contexte de croissance économique continue) a contaminé toute la société. Mais maintenant que la récession pointe le bout de son nez, les premiers à pouvoir s’en extraire sont bien sûr les privilégiés qui sentent le vent tourner, et qui ont surtout les moyens de modifier leur comportement et de contrôler leur fièvre acheteuse.

En effet, le fait de dépenser est surtout devenu une composante essentielle de la culture populaire, un moyen de construire une identité artificielle bâtie sur les matérialités et les artifices afin de se déconnecter de son identité sociale réelle. Seulement, on ne peut fuir éternellement la réalité, et ce comportement de camouflage est devenu au contraire symptomatique d’une certaine classe sociale défavorisée.

De par leurs revenus moindres, les pauvres sont forcément plus sensibles à la consommation. Tout leur argent y passe, il est donc normal que celle-ci occupe une place centrale dans leur mode de vie. Mais au-delà de ce constat, on peut observer que toute une culture liée à la consommation s’est développée chez les classes populaires, au point de devenir un modèle, un véritable style de vie. Que ce soit dans ses abus de crédits à la consommation (pour maximiser la jouissance de consommation présente au détriment de l’avenir), dans sa sensibilité liée à la télévision et à sa propagande publicitaire, ou dans la place qu’il occupe dans les stratégies de marketing, y compris pour des produits inabordables (pour lesquels il est tentant de dépasser les limites du raisonnable), le ménage modeste est au centre d’une culture d’hyperconsommation inhérente au fonctionnement de notre économie mondialisée. La fréquentation même de galeries commerciales surpeuplées ou de boulevards commerçants est désormais devenue l’apanage des classes populaires en quête de consommation identitaire difficilement contrôlable.

Les riches, eux, redécouvrent des activités oubliées : ils se baladent, pratiquent des activités en famille, savourent des moments de quiétude qui ne coûtent rien. Il y a quelque chose de proustien dans ce retour du temps perdu, loin de l’agitation vulgaire des temples de la consommation que constituent les supermarchés. Une certaine morale puritaine et bourgeoise tend à se recréer une légitimité et redevient attrayante car elle répond à un nouveau besoin : celui d’avoir des repères et de revenir à une certaine simplicité passéiste qui a l’avantage d’être rassurante dans ces temps de doutes et d’hystérie collective.

E.B. // Moneyzine

mardi 28 octobre 2008

Faut-il se liquéfier ou s’endurcir ?

Les marchés financiers étant en cours de liquéfaction, faut-il chercher à les imiter en conservant un maximum de liquidités dans son portefeuille ? Certes, il peut paraître attrayant de se positionner à l’achat avec des indices aussi bas, mais vous avez envie de dormir (tout comme ces salariés américains qui avouent avoir un sommeil dérangé à cause de la crise) et vous en avez marre de suivre des cours en montagnes russes qui vous font passer de l’espoir au désespoir plusieurs fois dans la même journée.

Bien entendu, il serait sans doute sage d’acheter progressivement, dans une optique à moyen terme, au risque d’engranger des pertes prochainement. Certains analystes voient même se profiler un rebond assez significatif suite à l’apaisement que devraient provoquer l’élection américaine, et dans une moindre mesure les réunions successives du G20 afin de réguler la finance mondiale. Il serait alors tentant de miser sur des produits avec effets de levier : warrants ou autres trackers leveragés, mais tout ceci vous semble maintenant très exotique. Vous avez déjà perdu plus de 40% sur vos actions et la bourse commence à vous énerver.

Si vous n’en possédez pas déjà un, vous vous jetez donc sur les offres que proposent les banques afin de vous appâtez pour ouvrir un Livret A chez elles. Vous remplissez votre Livret de Développement Durable, et vous arbitrez votre contrat d’assurance-vie vers des supports en euros moins risqués. Tout cela vous rapporte environ 4% par an, mais avec une inflation qui tourne autour de 3,5% par an, il vous faudra quelques centaines d’années pour faire augmenter confortablement votre patrimoine.

Au moins, me direz-vous, en restant liquide, on ne perd pas d’argent. Certes, mais en y réfléchissant bien, êtes-vous vraiment si certain que vos euros ne vont pas perdre subitement de la valeur ? En effet, la volatilité sur le marché des devises atteint des niveaux tout aussi ahurissants que certains marchés actions. De plus, certains analystes annoncent une possible crise de l’euro liée à un éventuel krach concernant les pays émergeants. Certes, il ne s’agit que de propos d’économistes de mauvais augure, mais vous vous sentez déjà moins rassuré.

Dans un article récent, en m’interrogeant sur la rationalité des marchés, j’émettais des doutes sur l’or étant donné que la valeur de ce métal était plus psychologique que réelle. Néanmoins, je commence à revenir sur ce jugement, et à trouver des avantages à un certain endurcissement de mes liquidités.

Premièrement, les marchés sont particulièrement erratiques en période de crise et donc en grande partie irrationnels. Il ne serait donc pas absurde de miser sur une valeur intrinsèquement affective, et dont le prix s’avère plus dicté par la psychologie que par la loi de l’offre et de la demande. Deuxièmement, même si c’est l’imaginaire collectif qui confère sa valeur à l’or, celui-ci possède une inertie intéressante en période d’instabilité : autrement dit, on ne change pas l’opinion de milliards de personnes vis-à-vis d’un bien en quelques semaines. Troisièmement, étant donné le flou à venir sur les perspectives économiques mondiales, l’or incarne une certaine stabilité appréciable, un repère auquel on pourra toujours se référer en cas de turbulences monétaires graves.

Pourtant, comme je le soulignais également dans cet article, il faudra être particulièrement attentif à tout excès du marché. Personnellement, j’affecte actuellement environ un quart de mon patrimoine à l’acquisition d’or métal. Néanmoins, j’achète maintenant car j’estime que les prix sont raisonnables (faute d’être rationnels). En cas de hausse soudaine ou trop prononcée, je renoncerai néanmoins à ces achats. En effet, même pour cette valeur réputée tranquille, nous ne sommes pas à l’abri de la formation d’une bulle potentiellement destructrice (Le prix de l’or étant particulièrement corrélé au comportement des vendeurs, on peut légitimement imaginer que leur future propension à se débarrasser d’une valeur considérée comme stable va, au fil des incertitudes, aller en s’amoindrissant).

Pour des raisons de sécurité, vous pouvez bien entendu faire le choix d’acheter des parts d’or physiques soigneusement gardées dans des coffres de Zürich ou de New York. Néanmoins, je déconseillerais tous les produits financiers indexés sur le cours de l’or qui me semblent encore trop virtuels à mon goût. Pour ma part, je préfère investir dans des pièces cotées qui ont le double avantage de me refaire découvrir l’histoire du XIXe et du XXe siècle, et de me ramener dans une dimension toute matérielle de l’économie qui certes paraît régressive voire même barbare, mais qui en ces temps de crise apporte un sentiment de sérénité qui n’a pas de prix.

E.B. // Moneyzine

lundi 20 octobre 2008

Economie réelle vs. économie virtuelle

En écoutant les différents commentaires liés à la crise, on serait en droit de se demander si l’économie ne serait pas victime d’un schisme. D’un côté, une économie réelle composée de vraies entreprises avec à leur tête de vrais entrepreneurs qui s’évertuent à survivre dans un environnement concurrentiel difficile, et surtout qui doivent se battre sans cesse contre des banques qui menacent leurs projets en refusant de leur allouer des prêts. D’un autre côté, une économie virtuelle (ou fausse économie, ou bien encore économie imaginaire) composée de banques ou de hedge funds avec à leur têtes des myriades de spéculateurs assoiffés de rendement et prêts à vendre leur mère à découvert pour être sûrs de toucher leur sacro-saint bonus. Certes, les médias raffolent des visions manichéennes, mais n’est-il pas devenu dangereux de stéréotyper deux pseudo-facettes de l’économie ?

L’abus de l’expression « économie réelle », qui souffre soi-disant des excès de l’économie virtuelle (autrement dit financière), implique une distinction moralisante, voire rassurante pour l’opinion publique. Il existerait un capitalisme « sauvage », mauvais. Celui-ci doit absolument être moralisé, car il est en train de corrompre le bon capitalisme entrepreneurial, qui lui est particulièrement vertueux, créant des emplois et faisant vivre de vrais travailleurs dans des régions bien concrètes (bien éloignées des îles Caïman, nom particulièrement évocateur pour un paradis fiscal censé abrité tous les carnassiers de la finance).

Certes, cette vision moralisante rassure. Tout le système n’est pas corrompu, il est alors possible d’identifier des coupables. Mais, un tel raisonnement découle surtout d’un fantasme visant à découpler la sphère productive (faite de vrais travailleurs) de la sphère financière (faite de parasites). D’un côté la vertu, de l’autre le vice. Cette vision trouve d’autant plus de succès dans les pays de tradition catholique dans lesquels l’argent a toujours eu quelque chose de sale et de suspect. Or, entretenir un tel fossé peut s’avérer particulièrement dangereuse sur le plan politique, alimentant une sorte de néo-poujadisme défendant le petit entrepreneur méritant au détriment des non-productifs (travaillant dans les sphères obscures d’une économie qu’on a de plus en plus de mal à comprendre).

Oui, l’économie se complexifie mais ce n’est pas en la caricaturant qu’on arrivera à mieux la contrôler. Bien sûr, il n’y a pas deux économies. Il n’y a pas l’effort d’un côté, la facilité de l’autre. Au contraire, la rentabilité, le risque et l’argent irriguent tout le système économique. Les services, notamment financiers, constituent le cœur et même le moteur du dynamisme économique. Les entrepreneurs réels possèdent bel et bien eux aussi un esprit d’entreprise qui les pousse à prendre des risques, à spéculer et à rechercher le profit. On ne peut distinguer le vice de la vertu étant donné qu’en réalité le système économique n’a aucune dimension morale. Vouloir lui en donner une, c’est déjà faire de la politique.

Pourtant me direz-vous, est-il moral que le total des positions financières sur produits dérivés atteignent quelques 600.000 milliards de dollars, soit 10 fois la production « réelle » de l’économie mondiale ? Est-il moral que les Etats doivent élaborer des plans de sauvetage et entrer dans le capital d’établissement financiers afin de sauver les dépôts « réels » des épargnants ? Et bien, ce qui est plutôt immoral, c’est que les différents pouvoirs politiques aient permis d’aboutir à cette situation. Il est bien pratique de dénoncer les règles du jeu en fin de partie alors qu’on est en train de perdre. Les Etats ont été irresponsables de permettre certains abus dont ils ont eux-mêmes profité en multipliant les dettes et les déficits à des fins politiques.

Il faut maintenant remettre beaucoup de choses à plat, ce qui ne peut se faire qu’au niveau mondial et donc de manière coordonnée. Mais qui va décider d’une réelle politique de transparence, politiquement responsable et ne sombrant pas dans la facilité électorale d’accuser et de punir une mauvaise économie imaginaire ? Les Etats en faillite, les organisations internationales vassalisées ? Enfin, sans doute beaucoup d’experts économistes, les mêmes dont la légendaire myopie frise aujourd’hui l’aveuglement.

E.B. // Moneyzine

lundi 13 octobre 2008

The world is not ending

C’est ce genre de message "rassurant" que l’on peut entendre en ce moment sur la chaîne d’information CNN. En effet, les médias nous font le coup de la "positive attitude". Tout s’écroule, mais il faut garder la foi, rester droit et fier, et surtout faire attention à ce qu’on dit. Le vocabulaire employé est particulièrement étudié : on évite les mots récession (ou du moins dépression), on ne parle pas de krach mais de sévère correction ou tout simplement de crise financière (ce qui paraît plus abstrait).

Il est particulièrement intéressant d’observer les commentaires officiels en ce moment. Les mêmes qui n’avaient rien vu venir, nous refont en direct des analyses affirmatives (par exemple, Jacques Attali à 20h sur France 2 qui affirme sans rigoler que la crise est positive car le prix des maisons baisse et que les gens vont pouvoir acheter !). Tous ces « analystes » nous expliquent sans le moindre doute que l’on ne risque rien, que tout va rentrer dans l’ordre. Certes, il est du rôle des médias d’éviter une sorte d’hystérie collective, mais sont-ils pour cela obligés de perdre tout sens critique au point de devenir des organes de propagande nationale destinés à éviter que les gens se ruent vers les banques ?

Les économistes (enfin ceux qui passent à la télé) sont de plus en plus drôles, et ils ne s’en rendent pas compte, ce qui vient renforcer leur sens du comique. La vérité est qu’avec les règles comptables « mark-to-market » et un contexte d’effondrement de la valeur des actifs, les banques (y compris les plus saines) sont obligées de jongler quotidiennement et de pleurer auprès de la BCE pour ne pas se déclarer en faillite. Depuis le lâchage de Lehman Brothers par la FED, le risque est trop grand pour les établissements bancaires de se prêter entre eux (même pour un jour, car la faillite ne prévient pas), d’où les efforts démesurés des chefs d’Etat pour garantir la survie des banques.

L’opinion publique semble croire à tous ces messages. Certes, ce n’est pas très clair, mais les dépôts semblent garantis. Une seule chose semble tout de même bizarre : d’où sort tout cet argent ? On pinaille pour quelques millions de budget ministériel, et là on met sur la table des dizaines voire des centaines de milliards d’euros. Tout ceci me fait penser à une partie de poker où l’Etat serait en train de bluffer en faisant « tapis » pour faire croire aux autres qu’il a une main d’enfer (une quinte-flush). En effet, l’Etat fait croire qu’il peut sauver les banques. Mais si tout le monde commence à faire la queue devant les guichets et que les faillites commencent, on se rendra compte que l’Etat n’avait en fait aucun jeu (ou une paire de deux). Il ne pourrait faire face, étant lui-même dans une situation financière plus que délicate.

C’est un peu ce qui se passe pour l’Islande. Ce petit pays d’un peu plus de 300.000 habitants a mal bluffé et s’est fait avoir. Un Etat ne peut théoriquement pas faire faillite, pourtant c’est bien ce qui est en train de se passer. Fort heureusement, il est assez facile de sauver ce petit nombre d’Islandais (à peine la taille d’une ville de province) : il suffit de trouver un pays plus grand et qui a des liquidités comme la Russie. Celle-ci au passage ferait un bon investissement géopolitique, en mettant sous tutelle un pays bien placé au carrefour des Etats-Unis et de l’Europe, autrefois si convoité durant la guerre froide. De toute façon, les Américains n’y peuvent rien, ça fait bien longtemps qu’ils sont hors-jeu, n’ayant plus d’argent pour miser.

Imaginez maintenant qu’un pays de quelques millions d’habitants se retrouve dans la même situation. Qui serait alors capable de le sauver ? Qu’y a-t-il au-dessus des gros pays pour servir de parachute de secours ? Un vide abyssal, l’idée du chaos. Il est donc dans l’intérêt national de raconter n’importe quoi dans les médias. Il vaut mieux mentir et rester positif que risquer d’empirer la crise. L’histoire jugera sans doute, et certains masques tomberont. En attendant, laissons nous bercer par les belles histoires des économistes avant qu’elles ne deviennent des blagues, ou pire, de sombres cauchemars.

E.B. // Moneyzine

lundi 15 septembre 2008

A la recherche de la crise américaine

Je suis de retour des Etats-Unis où, comme beaucoup d’Européens, j’ai pu profiter de la faiblesse du billet vert pour remplir ma valise de choses absolument superflues. Mais, outre ces préoccupations estivales, j’ai aussi profité de mon voyage pour tenter d’observer les manifestations d’une hypothétique crise économique américaine.

J’étais en Californie : pas forcément le meilleur choix pour observer la crise, mais Cleveland ne me tentait pas trop. Enfin tout de même, cette partie ensoleillée du pays n’a pas été épargnée par la crise des subprimes. Concernant l’immobilier ancien, on y observe une baisse de 22 % du prix médian ! Je m’imagine déjà propriétaire, mais je déchante bien vite en parcourant les agences immobilières. Si on trouve quelques prix massacrés, ceux-ci concernent principalement des banlieues improbables assez éloignées des grandes villes et peu attrayantes. Les maisons sympathiques de San Francisco ou de Los Angeles restent malheureusement inabordables avec des prix médians avoisinant respectivement 800.000 et 600.000 dollars (ce qui représente encore quelques euros).

La crise n’est donc pas flagrante de ce côté, ou du moins elle est difficilement observable par le simple touriste de passage que je suis. A priori, tout semble aller normalement dans ce pays, et je culpabilise presque d’avoir écrit des articles plutôt pessimistes sur le sort de l’économie américaine.

Néanmoins, comme je suis un peu obsédé par cette question, je n’ai pu m’empêcher de creuser la question, et j’ai donc poursuivi ma quête en essayant de trouver des indices allant au-delà des apparences.

Un matin, je tombe sur un éditorial du San Francisco Chronicle qui observe qu’il n’y a jamais eu autant d’étrangers en ville. L’auteur insiste d’abord sur les répercussions économiques positives pour la ville, mais son propos devient vite plus désabusé. On observe alors comme une certaine résignation à voir ses européens se balader avec des dizaines de sacs sur Union Square, trainer dans les restaurants chics et acheter des bouteilles de vins à 150 dollars (je ne fais que citer). Forcément, vous êtes la nation censée être la plus riche du monde, et vous voyez débarquer des kyrielles d’étrangers qui ont l’air d’acheter sans compter. Mais alors qui sont les riches ? L’article se termine par l’interview d’une Française qui ramène diverses choses dont un billet d’un dollar à l’effigie de Britney Spears… et l’éditorialiste de conclure : « To them, it probably looked like a real U.S. dollar » (Pour eux, ça ressemble vraisemblablement à un vrai dollar américain). Premier indicateur de crise : les Américains commencent à s’apercevoir que leur monnaie vaut réellement moins que ce qu’ils pensaient. Du coup, sont-ils encore les plus riches ?

Au cours de mon séjour, j’ai forcément été amené à regarder la télévision. Difficile de passer à côté : il y en avait trois dans la maison que je louais dont une dans les toilettes ! (qui a parlé de consommation excessive ?) Bref, c’était la période des Jeux Olympiques de Pékin et je pensais voir un peu tous les sports. Et bien non, il y avait un enjeu bien plus important à retransmettre : la compétition contre les Chinois pour rester n°1 en terme de médailles. Forcément, dès qu’un Américain avait une chance d’en obtenir une, il avait le droit à un reportage sur sa carrière, son entrainement, sa famille… et celui qui battait tous les records était forcément : Michael Phelps. Je crois que je connais à peu près tout de ce garçon aujourd’hui, y compris ce que sa mère lui préparait à manger quand il était petit. Phelps a incarné cet été le symbole qui fait que les Etats-Unis sont encore Number One et qu’ils peuvent toujours regarder les Chinois avec condescendance. Mais cette fierté se fissure de tous les côtés : la bataille pour le décompte des médailles en a été la preuve. Est-ce le nombre de médailles d’or ou simplement le nombre de médailles qui détermine le vainqueur ? Quand on en arrive là, c’est déjà un aveu d’échec. Deuxième indicateur de crise : les Américains commencent à s’apercevoir qu’ils ne sont plus les meilleurs, même s’ils sont persuadés qu’ils sont toujours Number One.

Enfin, la chose qui m’a frappé le plus lors de mon séjour est l’abondance des emplois aux Etats-Unis. En effet, il existe une multitude de personnes employées à des tâches qui seraient jugées comme inutiles, voire non productives en Europe. En observant la personne qui range vos courses dans un sac au supermarché ou celle qui fait bouger une pancarte au coin de la rue pour vous signaler une vente de voiture d’occasion, vous vous dites que les charges pesant sur le travail doivent vraiment être faibles pour qu’il y ait une quelconque rentabilité à employer quelqu’un. D’un côté, cette particularité américaine est plutôt positive : le marché du travail est flexible, le taux de chômage est anecdotique. Mais d’un autre côté, les emplois à bas salaire se multiplient et surtout la productivité du travail n’est pas évidente. Mes vacances continuent et cette constatation me perturbe. Je compte les employés dans les restaurants et me rend compte qu’ils sont parfois plus nombreux que les clients, j’observe les nombreux gardiens de parkings et de sécurité qui auraient vite été remplacé par des machines en Europe, étant donné le coût des charges sociales. Finalement, ces gens là concourent à l’accroissement du PIB américain, ils consomment grâce à leur salaire, mais concrètement ils ne produisent quasiment rien, si ce n’est quelques services périphériques qui seraient aisément pris en charge par d’autres moyens en Europe. Troisième indicateur de crise : les Américains sont les premiers producteurs au monde, mais quelle est la réalité de cette production ? En effet, si la réalité de la consommation est omniprésente, la réalité productive et la justification des revenus semblent plus floues.

Au final, je ne pense pas avoir observé de crise. J’ai plutôt entrevu un rêve américain qui se perpétue, même s’il faut tronquer la réalité pour cela. Les Etats-Unis sont toujours n°1 et même si ce mythe se fissure, les Américains y croient toujours : c’est là toute leur force.

E.B. // Moneyzine

lundi 21 juillet 2008

Donnez moi un point d’appui et un levier

Tout le monde connaît cette phrase qu’aurait prononcée Archimède pour illustrer ses découvertes à propos du principe du levier. Celle-ci se termine par « et je soulèverai la Terre », ce qui marque assurément les esprits.

Certainement impressionnés par l’évocation de cette toute puissance, les financiers ont eux-aussi voulu disposer d’un tel principe et ont inventé leur propre effet de levier. Il ne s’agit plus alors d’une antique loi de mécanique, mais seulement d’une banale histoire de profit : pour gagner plus, il faut investir plus. Jusque là, rien de très novateur.

Où le levier intervient, c’est quand l’investisseur se dit que pour gagner encore plus, il faut qu’il investisse beaucoup plus, y compris de l’argent qu’il ne possède pas. Ainsi, on appelle tout simplement effet de levier, le fait d’emprunter de l’argent pour investir plus qu’on ne possède dans l’espoir de générer des gains supérieurs à ce qu’on aurait pu espérer avoir avec ses propres fonds.

Aujourd’hui, n’importe quel petit investisseur particulier a accès à cette possibilité. Il suffit d’ouvrir un compte-titre chez un courtier sur Internet et celui-ci met instantanément à votre disposition une couverture. Il ne s’agit pas de se protéger du froid, mais de vous offrir la possibilité d’engager des sommes que vous ne possédez pas sur les marchés, jusqu’à un certain point (dans la limite de la couverture).

Prenons un exemple : Vous disposez d’environ 1000 euros sur votre compte-titre et vous êtes absolument persuadé qu’une certaine action va monter rapidement. Celle-ci cote à 100 euros, vous en achetez donc 10. Admettons que cette action prennent 10% : vous revendez et vous avez gagné 100 euros. Ce n’est pas mal, mais complètement nul par rapport à ce que l’effet de levier aurait pu vous rapporter. Avec une couverture de 10.000 euros, vous auriez pu acheter 100 actions et ainsi gagner 1000 euros (avec seulement 1000 euros sur votre compte) soit une plus-value de 100% sur un seul coup. C’est beaucoup mieux.

Bien sûr, on peut aussi se prendre le levier dans la figure. Vous utilisez votre couverture et finalement votre action perd 10% : vous venez de perdre tout votre capital sur un seul coup. Pas mal !

Tout est question de prise de risque. Si vous gérez vous-même votre portefeuille, vous allez avoir tendance à être un minimum raisonnable, et encore… Avec la multiplication des produits financiers, n’importe quel particulier peut aujourd’hui utiliser ces leviers que ce soit simplement avec le SRD ou de manière plus compliquée avec les options, warrants ou autres CFD… bref toute une kyrielle d’investissements utilisant des effets de levier auparavant réservés à des utilisateurs avertis.

A ce sujet, j’ai récemment assisté à une conférence sur les warrants organisée par une grande banque allemande d’investissements. Je fus vraiment très surpris de n’y rencontrer quasiment que des personnes retraitées. La plupart connaissait les principaux fondamentaux boursiers, mais ma surprise ne fit que croître pendant que j’écoutais le conférencier conseiller à ces personnes raisonnables (qui à mon avis avaient mis un certain temps à constituer leur capital) d’investir massivement dans les warrants. Certes l’exposé était talentueux, les chiffres impressionnants, le diaporama projeté impeccable et les plaquettes distribuées vraiment brillantes, mais en discutant ensuite avec certaines des personnes présentes, je me rendis compte qu’elle n’avait pas compris grand-chose. Néanmoins elles étaient prêtes à s’y mettre, et quand je leur rappelais qu’elles risquaient de perdre tout le capital engagé dans ce genre de produit, j’avais l’impression d’être moi-même le vieux rabat-joie qui venait briser leurs espoirs.

Cependant, le problème avec les leviers n’est pas de savoir s’il est moral que des gens inexpérimentés l’utilisent, c’est plutôt de savoir jusqu’à quel point les personnes expérimentées peuvent l’utiliser sans risquer de faire tomber la Terre imaginairement soulevée par Archimède.

Quand une personne ne gère pas son propre argent et que son seul signe de réussite réside dans le pourcentage de profit qu’il réalise dans l’année, il est légitime qu’elle soit tentée par l’utilisation abusive du levier. Seulement, souvenons-nous d’Archimède qui nous rappelle qu’il faut également disposer d’un bon point d’appui. En finance, rien de plus facile : il suffit de s’appuyer sur une banque qui va elle-même s’octroyer des prêts pour tenter de gagner plus d’argent.

Où est le problème ? il y a des perdants et des gagnants, c’est une forme de spéculation comme une autre. Seulement, comme le principe du levier tend à se généraliser, le risque tend à se banaliser ce qui conduit forcément à quelques incidents de parcours. En effet, c’est quand la catastrophe arrive qu’on se met alors à médiatiser cet effet de levier et à le dénoncer.

La première dont j’ai entendu parlé fut celle de LTCM. Il s’agissait d’un hedge fund créé en 1994, et tout à fait sérieux car deux Prix Nobel d’économie en étaient associés. A l’époque, le contexte est porteur, les affaires tournent bien : d’environ 1 milliards de dollars à son lancement, le capital de LTCM frôle les 5 milliards en 1997. Seulement, la crise asiatique arrive et surtout la crise financière russe qui va à l’encontre des modèles mathématiques mis au point par les petits génies du fond. Bien sûr la faillite arrive, mais ce n’est pas le plus important. La véritable catastrophe est quand on se rend compte que ce seul fond a pris pour plus d’un trillion de dollars de positions sur les marchés (plus de 1000 milliards de dollars, soit 200 fois plus d’argent qu’il ne possédait réellement). Le système bancaire chancèle, on met en place un plan d’urgence et tout le monde trouve ça inimaginable. Décidément l’effet de levier, c’est beaucoup trop dangereux, on va faire attention.

Que fait-on dix ans après ? Des banques incitent les retraités à risquer leur capital sur intuitions tout en enjolivant les risques ; un président de banque paraît vraiment étonné quand les médias parlent d’un certain Jérôme qui a pris, à lui tout seul, des positions équivalentes à plus de trois fois les fonds propres de cette même banque. Bref, cette pratique ne s’est pas vraiment assainie, d’autant plus que ne ressortent à la surface que les incidents trop énormes pour pouvoir être facilement passés sous silence.

Dans le contexte de crise financière actuelle, la paranoïa guette le monde des affaires. Plus personne ne semble absolument sûr de rien. Les décideurs politiques parlent de dérives, de marchés financiers devenus incontrôlables qui menacent l’équilibre économique de la planète. Bref, il veulent introduire de la régulation, ce qui est normal étant donné que c’est leur travail. Mais comment fixe-t-on les limites ? Faut-il interdire toute pratique de l’effet de levier ? Tout emprunt à but spéculatif ? Seulement, n’oublions pas que tout investissement a par essence une finalité spéculative. Dans ce cas, toute régulation risquent d’impacter l’économie mondiale de manière très incertaine.

On le voit, il n’y a pas de solution simple et immédiate. Sauf qu’Archimède n’a jamais voulu soulever le monde, il s’est juste contenté de ce qui était à sa portée pour démontrer sa théorie. Tout le reste, n’est que le fruit d’expérimentations douteuses nées d’individus voulant profiter des lois de la physiques en les testant jusqu’à l’extrême. C’est valorisant quand on découvre l’énergie nucléaire, c’est plus inquiétant quand on commence à en faire des bombes qui menacent l’humanité.

E.B. // Moneyzine

jeudi 10 juillet 2008

Souviens-toi... l'été dernier

Pour ceux qui ne seraient pas spécialistes en teenage movies américains, « Souviens-toi… l’été dernier » est un film censé faire peur (dans la lignée des Screams) où des adolescents renversent un homme en voiture lors d’un retour de soirée. Ils se débarrassent du corps dans la mer et établissent une sorte de pacte où chacun jure de ne rien révéler. Seulement, l’été suivant (un an après), ces jeunes étudiants commencent à recevoir des lettres de menace puis commencent à se faire tuer par l’homme qu’ils avaient renversé, ressuscité en marin avec un crochet en guise de main…

Si je vous parle de ce film, ce n’est pas pour vous conseiller d’aller le voir, mais car je m’apprête à vous parler de cet été (je reviendrai plus précisément sur le sujet du film plus tard). La société Goldwasser Exchange possède un forum financier très intéressant sur Facebook et organise régulièrement des concours qui consistent à faire des prévisions sur les marchés. Le thème de juillet/août est « Comment prévoyez-vous l’évolution des bourses pendant l’été ? ».

Avant les vacances, il est en effet propice de faire un point sur cette question, afin de pouvoir partir l’esprit rassuré ou déprimé, mais du moins renseigné, sur ce qui est susceptible de se passer durant l’été. L’objectif de cette prévision n’est pas forcément de pouvoir réagir instantanément à ce qui devrait se passer (pas évident depuis le bord de la piscine), car normalement tout investisseur encore sain d’esprit profite d’une partie de la période estivale pour décrocher un minimum. Non, réfléchir sur ce qui peut théoriquement se passer cet été permet plutôt de gérer cette transition vers l’inaction plus facilement (le contrôle n’est plus physique mais mental : on regarde l’évolution de loin en déclamant « je vous l’avais bien dit » et nous voilà rassurés).

Seulement quand on n’a plus de prise sur le marché, on a forcément tendance à imaginer le pire pour ne pas s’avérer déçu (et pour ne pas s’imaginer qu’on va passer à côté de bonnes affaires en cas d’évolution positive). L’incapacité à agir induit une certaine vision pessimiste du marché. Il n’y a qu’à lire les éditoriaux qui paraissent en ce moment sur le sujet, d’autant plus que le mot « été » se prête à beaucoup d’expressions toutes trouvées : « L’été de tous les dangers », « L’été en pente douce », « L’été meurtrier » ou « Cruel Summer », bref tout nous pousse vers la déprime.

J’en reviens à mon film d’adolescents : l’été dernier, la finance mondiale a elle aussi connu en quelque sorte un accident malencontreux. Je me souviens des titres des journaux (généralistes et non financiers : je vous l’ai dit, on essaye de décrocher en vacances) qui annonçaient une vaste crise financière sur fond d’immobilier aux Etats-Unis. Nous apprenions alors de nouveaux mots : « subprimes », « prêts hypothécaires », « CDO », « titrisation » qui, on s’en doutait alors peu, allaient intégrer notre vocabulaire courant.

En cette saison, difficile néanmoins de s’appesantir sur le sort de propriétaires américains. Certes, beaucoup perdaient leur maison mais c’était les Etats-Unis, on n’allait pas pleurer sur des Américains parce qu’ils avaient fait l’erreur d’acheter une maison alors qu’ils n’en avaient pas moyens. On n’allait pas non plus être attristé par les pertes des banques, tout cela parce qu’elles avaient fait un mauvais calcul de risque. Bref, tout cela nous semblait un peu virtuel, comme évaporé par la chaleur estivale.

Or l’accident avait bien lieu, et en sous-main les jeunes loups de la finance (et même les vieux d’ailleurs) étaient déjà à l’œuvre pour en minimiser les conséquences. Il n’y a pas eu de pacte unique comme dans le film, mais chacun s’est efforcé de cacher une partie de la vérité. Les banques se sont mises à se faire très discrètes sur les « junk bonds » qu’elles détenaient, la FED (Banque centrale des Etats-Unis) s’est voulu très réactive en abaissant rapidement les taux d’intérêts et garantissant le rachat de certains actifs, les agences de notation se sont voulu rassurantes : non, il n’y avait pas eu sous-évaluation du risque…

Contrairement au film où les jeunes étudiants arrivent à passer leur accident sous silence pendant un an, la situation a été moins discrète concernant « l’accroc financier » de l’été 2007. Déjà, plus d’un million d’Américains qui se font expulser de chez eux, c’est difficile à cacher. De plus, les banques un peu partout dans le monde se sont mises à annoncer (certes au compte-goutte pour essayer de rendre ça plus supportable) des dépréciations d’actifs en cascade et des résultats d’exploitation en berne. Certains fonds se sont même mis à faire faillite (Carlyle), voire même des banques elles-mêmes (Bear Stearns finalement sauvée par JPMorgan Chase). Bref, tout ça n’est pas des moins visibles.

Néanmoins, les acteurs financiers ont vite tenté de circonscrire les dommages assez tôt. En effet, malgré la déprime des marchés boursiers depuis le début de l’année (et surtout des valeurs financières dont certaines ont perdu plus de 50 % de leur valeur), les nouvelles se sont vite voulues rassurantes. Des analystes annonçaient dès le mois d’avril la fin de la crise financière : « rentrez chez vous, tout est rentré dans l’ordre ». Certes, les plus gros problèmes sont peut-être derrière-nous (expression très à la mode dans la presse financière et chez les décideurs politiques), pourtant le prix de l’immobilier continue de chuter, on estime que 2 millions d’Américains vont perdre leur maison en 2008, le dollar s’effondre et l’inflation commence à devenir problématique (ce qui menace la consommation).

Puis apparaissent de nouveaux mots avec qui on se familiarisent de plus en plus : « CDS », « Rehausseur de crédit », et on commence à se demander si le pire est vraiment derrière-nous. Comme dans le film, nos jeunes/vieux loups de la finance commencent à recevoir des menaces sous la forme de nouvelles alarmantes qui se traduisent par de brusques secousses sur les marchés boursiers (enfin surtout par une longue descente plus ou moins raide). Les menaces vont-elles s’intensifier (notamment par le biais des résultats semestriels) ? Va-t-il y avoir des morts cet été (quelques petites faillites) ? Bref, est-on condamner à payer pour les folies financières qui sont apparues l’été dernier et que certains ont mis tant de mal à cacher ou à minimiser durant toute l’année. Je ne prédis rien mais je préfère me dire que cela sera le cas. Ainsi, même loin des marchés, je pourrai enfin passer des vacances tranquilles.

E.B. // Moneyzine

vendredi 4 juillet 2008

La plastification des dettes

Suite à mon article « J’emprunte donc je suis … moins riche », un lecteur m’a récemment demandé plus de précisions concernant les dettes contractées par les Américains au moyen de leur cartes de crédit, ainsi qu’une comparaison avec l’Europe. Enfin, il me demandait quand le niveau d’endettement allait devenir problématique (si je traduis en langage bancaire, j’imagine que ça signifie catastrophique).

Tout d’abord, en faisant mes recherches, j’ai été très surpris de trouver aussi peu d’informations sur le sujet. Y aurait-il une sorte de « loi du silence » plus ou moins consentie par les acteurs du crédit individuel ? Ce sont à la rigueur les Etats-Unis qui font preuve de plus de transparence. Même si les données ne sont pas des plus récentes, la FED (banque centrale des Etats-Unis) et les organismes de crédit américains semblent en effet plus enclins à communiquer quelques chiffres :

Commençons donc par les Etats-Unis. La dette privée des consommateurs américains (hors prêts immobiliers) atteindrait 2,46 trillions de dollars en juin 2007 (8.200 dollars par habitant).

Les crédits revolving (cartes de crédit US) représenteraient 904 milliards de dollars, soit 3.013 dollars par habitant mais un peu plus de 5.000 dollars par usager car il faut enlever les personnes qui ne possèdent pas de carte (environ un quart des foyers américains). Mais environ 30% des usagers paient leur solde à la fin du mois sans avoir recours au crédit proposé : Ainsi plus de la moitié des Américains n’utilise pas ou quasiment pas les possibilités de crédit offertes par les cartes en plastique (on est loin des clichés).

En moyenne, chaque consommateur a accès à environ 19.000 dollars via ses cartes de crédit : plus de la moitié d’entre eux utiliserait moins du tiers de cette capacité d’emprunt, mais 1 consommateur sur 7 en utiliserait 80% ou plus.

Chaque ménage américain utilise en moyenne ses cartes de crédit pour un somme correspondant à 5% de ses revenus annuels (pas de quoi faire sauter la banque !)

51% de la population américaine possèdent au moins deux cartes de crédit. 10% en possèdent au moins dix ! (Je vous laisse deviner laquelle de ces deux catégories pose le plus de problèmes…)

En Europe, la situation semble plus confuse à appréhender étant donné l’éclatement des données disponibles. Malheureusement, les chiffres concernant les seules cartes de crédit (au sens américain, c’est-à-dire ce que les Européens appellent crédit revolving) sont indisponibles.

Nous devons donc nous contenter des données concernant la totalité des crédits à la consommation. Pour cela, nous utiliserons principalement une étude réalisée par l’organisme de crédit Sofinco à la fin 2007. On y apprend que les encours de crédit à la consommation pour les 27 pays de l’Unions Européenne s’élèveraient environ 1,8 trillions de dollars (3.600 dollars par habitant soit plus de deux fois moins qu’aux Etats-Unis).

Cependant, cette étude met en lumière de grandes disparités régionales (on se doute bien que les Bulgares ne vont pas consommer comme les Suédois). Sans surprise, la palme de l’endettement revient au Royaume-Uni : 8.350 dollars d’encours par habitant. Dans ce pays, plus de la moitié des ménages ont contracté un prêt à la consommation et on y dénombre 55% des cartes de crédit utilisées en Europe !

Outre la langue, les Britanniques semblent donc partager une certaine tendance à l’endettement avec leurs amis Américains (ratio d’endettement étrangement similaire). En revanche, les habitants les moins endettés se concentrent logiquement dans les ex-pays communistes en reconversion. Mais ces derniers constituent un marché en pleine expansion pour les organismes de crédit. Par exemple, les encours de crédits à la consommation des Roumains ont augmenté de 75% en 2007 ! (La moyenne de l’UE se situant à + 6,7%). L’Europe de l’endettement semble avoir de beaux jours devant elle, et l’écart avec les Etats-Unis semble être en voie de résorption progressive.

La dernière partie de la question de mon lecteur concernait l’avenir : A partir de quand la situation allait devenir problématique ? Là encore, les chiffres sont très confus surtout que les critères de surendettement diffèrent d’un pays à l’autre. Pour les Etats-Unis, nous disposons seulement du chiffre annuel de faillites personnelles prononcées : environ 2 millions tous les ans (soit 7 faillites pour 1000 habitants en 2007). Certes, dans 75% des cas, les personnes en faillite possédaient au moins une carte de crédit, mais leur « dette de plastique » représentait en général moins de 20% de leur problème. Concernant l’Europe, la notion de faillite personnelle n’étant pas reconnue partout, la comparaison est malheureusement impossible. Néanmoins, selon diverses sources, on peut estimer raisonnablement à plus de 20 millions le nombre de ménages surendettés en Europe.

Ainsi, contrairement aux idées reçues et, même si le surendettement représente un drame pour celui qui est confronté, la situation globale concernant les encours de crédit à la consommation semble aux Etats-Unis comme en Europe beaucoup moins dramatique qu’on a tendance à le supposer.

Il est vrai que l’imaginaire collectif a davantage tendance à se focaliser sur des supports concrets : la carte de crédit en est un tout trouvé. Bien souvent, la question de l’endettement reste focalisée sur ce morceau de plastique, alors que le véritable souci semble résider ailleurs : la « plastification des dettes » créant une barrière mentale masquant les véritables enjeux.

Il est en effet bien plus difficile d’imaginer et d’être outragé par les ravages d’un prêt immobilier à taux variable, de l’augmentation des dépenses publiques, du déficit de la balance de paiement d’un pays. Pour ces sujets, nous ne disposons pas d’image forte, si ce n’est à la rigueur celle d’un banquier stressé qui joue à l’apprenti-sorcier derrière son ordinateur. Et pourtant, si l’on ne prend que les Etats-Unis :

Sur 9 trillions de dollars d’encours de crédits immobiliers aux Etats-Unis (7 trillions en Europe), plus d’un trillion est basé sur le principe des subprimes : mécanisme qui a engendré 1,3 millions de procédures de saisie immobilière en 2007 (Au moins, toutes ces pancartes « Public Auction » en raison de ces « foreclosures » ont-elles le méritent de générer des images qui alertent progressivement les esprits).

Mais le principal facteur d’endettement reste beaucoup plus silencieux et dépasse de loin le simple cadre de la consommation privée. Le gouvernement fédéral américain augmente sans cesse les dépenses publiques, or il est beaucoup plus difficile de matérialiser les ravages de la dette à travers le lancement d’un programme gouvernemental très coûteux à l’utilité discutable qu’en accusant les cartes de crédit, ce qui tend d’ailleurs à déresponsabiliser opportunément les décideurs politiques. Le déficit gouvernemental officiel des Etats-Unis s’élèverait ainsi à 9 trillions de dollars (Ne nous moquons pas : plus de 11 trillions pour l’Union Européenne). Mais les autorités américaines ne cachent pas qu’il s’agit là d’un chiffre comptable qui notamment ne prend pas en compte les dépenses abyssales engagées en Irak ou en Afghanistan, les différentes pensions civiles et militaires (qui sont destinées à exploser dans les années à venir avec l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers) ou encore le financement du futur programme de Sécurité Sociale promis par les candidats à l’élection présidentielle et qui s’annonce déjà ultra-déficitaire.

Au total, le gouvernement américain avançait le chiffre de 46 trillions de dollars pour 2005 (On serait plus aujourd’hui plus proche des 50 trillions). Les encours de carte de crédit ne représenteraient donc que moins de 2% de ce total ! Le problème semble donc découler davantage d’une logique macroéconomique créatrices de déséquilibres que du comportement irresponsable de quelques consommateurs. Les décideurs américains dépensent trop, l’économie américaine ne produit pas suffisamment (ou du moins consomme plus qu’elle ne produit), beaucoup d’actifs américains sont survalorisés étant donné la quantité trop abondante de dollars en circulation, ce qui intensifie le phénomène de bulles (d’autant plus sensible quand les taux d’intérêt sont bas). Seulement la macroéconomie : c’est un gaz (comme aurait dit Gilles Deleuze). C’est diffus et insaisissable, impossible d’en tirer une image mentale suffisamment marquante. Alors on se rabat sur le plastique…

D’ailleurs ce n’est pas anodin, si David Walker, ancien Contrôleur Général américain, voulant tirer la sonnette d’alarme concernant l’endettement américain, utilisait récemment cette image : « Nous dépensons plus d'argent que nous en créons. Nous mettons tout cela sur une carte de crédit et on compte sur nos petits-enfants pour payer la note. C'est absolument scandaleux ! » Au moins, contrairement aux Européens, beaucoup plus circonspects sur le sujet, les Américains commencent-ils à admettre progressivement le problème… Mais est-il vraiment dans leur intérêt de chercher une solution ?

E.B. // Moneyzine

mercredi 25 juin 2008

J'emprunte donc je suis ... moins riche

Il semble assez incongru d’employer pour cet article un titre qui semble relever à la fois de Descartes et de la lapalissade. Néanmoins, il reflète assez bien les stéréotypes liés à l’utilisation de l’endettement dans notre société de consommation.

On peut tout d’abord observer que cette affirmation peut s’avérer fausse ou du moins incomplète. Je peux certes être moins riche en empruntant aujourd’hui, mais c’est peut-être pour être plus riche demain.

L’emprunt a tout d’abord une utilité économique : il est l’un des moteurs de création de richesse. Il serait aberrant d’éviter d’investir dans une entreprise sous prétexte qu’elle est endettée. Si l’emprunt est utilisé pour des investissements susceptibles de rapporter à l’avenir davantage que le coût du crédit, il est du devoir même des entreprises de prendre de tels risques sous peine de compromettre leur futur développement.

C’est un peu la même chose pour les particuliers. Quand j’emprunte pour investir dans un capital susceptible de me rapporter davantage à terme que le coût global de mon crédit, l’endettement ne semble pas stupide. Attention cependant, à terme ne veut pas dire « quand je serai mort » : il faut que je puisse bénéficier moi-même de l’avantage de cet endettement.

Le cas typique est l’immobilier : malgré la hausse vertigineuse des prix puis des taux d’intérêts, on a pu observer une course à l’achat sous prétexte qu’il s’agissait d’un investissement. Cependant certains particuliers ont oublié de prendre leur calculatrice et se sont lancés dans des acquisitions qui ne deviendront rentables qu’après leur mort (et encore si les prix de l’immobilier restent collés à l’inflation, ce qui semble être de plus en plus incertain dans les années à venir).

Qu’en est-il des autres emprunts ? Ceux qui vous rendent plus pauvres aujourd’hui comme demain, qu’il s’agisse d’acheter une voiture, des meubles, des appareils électroniques, des vêtements… bref des biens qui vous apportent une satisfaction présente mais qui ne vous rapporteront rien à l’avenir. En effet, la consommation est un savant mélange de plaisir et d’utilité : vous achetez quelque chose parce que vous en avez envie et/ou besoin. Vous avez une certaine dose de plaisir à faire les magasins, à acquérir un bien, à en profiter. Malheureusement ce bien se dégrade peu à peu, devient démodé, bref il perd de sa valeur et vous êtes obligé à terme de le remplacer. Pourquoi donc emprunter pour perdre de l’argent ? Il s’agit en effet de payer un service (avoir de l’argent aujourd’hui) pour payer un bien qui ne vaudra plus rien demain (même si vous devrez continuer à rembourser cet objet vidé de sa valeur ainsi que votre désir de l’avoir acheté alors que vous n’aviez pas les moyens : les intérêts).

Présentée de cette manière, la logique de l’endettement semble légèrement absurde. Pourtant les sociétés de crédit communiquent plus que jamais (en offrant parfois des TEG annuels supérieurs à 20% !). Aux Etats-Unis, être endetté est devenu une nécessité, un véritable style de vie voire le véritable « American way of life ». Ainsi, je suis très surpris à chaque fois que je discute avec des Américains, dont certains sont pourtant très éduqués, d’apprendre qu’ils possèdent 3 ou 4 cartes de crédit différentes et les utilisent régulièrement. Attention, une carte de crédit aux Etats-Unis n’a pas la même signification qu’en Europe où on utilise ce terme pour désigner ce qui est pour eux une carte de débit (mon compte est débité d’autant quand je paye). En réalité, quand on paye avec une carte de crédit, le montant vient alimenter ma dette que l’émetteur de la carte met à ma disposition en échange d’un certain taux d’intérêt.

Certes, certains Américains trouvent ça un peu bête, mais ils vous disent qu’ils n’ont pas vraiment le choix, qu’ils seraient vraiment pénalisés dans leur vie s’ils n’avaient pas ce moyen à leur disposition. En réalité, l’endettement est devenu un élément intrinsèque du fonctionnement de l’économie américaine qui ne peut pas se permettre de faire machine arrière. Il faut continuer à avancer sous peine d’entrer en récession, peu importe si chaque Américain doit en moyenne plus de 150.000 dollars en terme de dette extérieure.

L’endettement est même devenu un facteur identitaire (d’où la référence cartésienne dans le titre de cet article) : chaque Américain disposant d’une note de crédit liée à son numéro de Sécurité sociale. Votre comportement de consommateur est finement analysé à travers votre historique d’endettement centralisé par 4 agences (un Big Brother quadricéphale qui vous fait en plus payer pour connaître votre note : un exemple ici). Tout est épluché, les encours de la dette, les retards de paiement, l’estimation de votre patrimoine… Si votre note est bonne, vous avez le droit de vous endettez plus, si elle est mauvaise, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous prêter mais à des taux supérieurs (ce qui s’avère aussi efficace de vouloir désintoxiquer un junkie en lui donnant une dose aujourd’hui tout en le mettant en garde qu’elle lui coûtera beaucoup plus cher demain).

Il semble difficile de conclure autrement que par un constat d’incrédulité. Que se passera-t-il quand cette course en avant finira par trouver ses limites ? La crise des subprimes semble être un premier avertissement. Certains créanciers ont voulu étendre leur aire de clientèle en offrant aux plus pauvres (ceux qu’ils appellent les Ninjas : No income, no job, no assets) la possibilité de devenir encore moins riches, et ils se sont ensuite étonnés qu’il y ait quelques dysfonctionnements. Alors qu’une grande part de l’économie mondiale semble dépendre de cette surconsommation américaine, que faire sinon jouer les Cassandres en prédisant un futur désastre ? Le Président Bush Sr l’avait bien annoncé en 1992 à la Conférence de Rio en affirmant : « Le mode de vie des Américains n’est pas négociable ». Certes ! mais est-il solvable ?

E.B. // Moneyzine

jeudi 5 juin 2008

Jouons avec les courbes

En tant que fervent lecteur de presse économique et financière, je m'amuse beaucoup à comparer les différentes analyses parsemant les multiples publications du genre.

Pour résumer, deux grandes thèses s'affrontent aujourd'hui :

- Pour les uns, tout est rentré dans l'ordre, la crise est finie. Elle a atteint son paroxysme avec le sauvetage de Bear Stearns. Maintenant les nouvelles sont plutôt rassurantes et même s'il elles ne le sont pas, elles sont "intégrées dans le cours" comme aiment dire les optimistes (les bullish : ceux qui jouent la hausse). La baisse de la consommation, l'inflation galopante, le ralentissement de la croissance, la pression sur les matières premières, l'explosion de la dette américaine, l'effondrement du dollar... dans le cours, on vous dit !

- Pour les autres, vous n'avez encore rien vu, et vous pouvez accrocher vos ceintures. Le regain d'optimisme actuel n'est qu'une illusion, un simple rebond dans un mouvement de décrochage à moyen terme. Pour ces pessimistes (les bearish : ceux qui jouent à la baisse), toutes les conditions sont réunies pour envisager un net ralentissement de l'économie mondiale. Ce n'est qu'un juste retour des choses, il va falloir maintenant payer le prix des années fastes de la mondialisation, de l'endettement opportuniste des Etats-Unis (voir page 32 de ce rapport officiel de 2005 du US Government Accountability Office et qui parle déjà de 46 trillions de $ de dettes, soit 156 000 $ par Américain !) et du manque d'anticipation vis-à-vis du problème énergétique.

Même en confrontant les analyses, ces deux thèses paraissent effectivement se valoir. Les arguments sont solides, les chiffres avancés impressionnants et les graphiques publiés très parlants.

Néanmoins, étant géographe de formation, on m'a toujours répéter sans cesse qu'il fallait toujours critiquer les documents qu'on nous mettait sous les yeux. Les cartes d'abord dont on pouvait faire dire tout et son contraire, et les chiffres qui, judicieusement présentés, pouvaient être prétexte aux interprétations les plus farfelues.

Prenons l'exemple des graphiques montrant l'évolution de l'indice CAC 40 qui vient souvent illustrer les propos de nos analystes.

Exemple n°1 (soyons positifs)
On voit bien que le 1er trimestre 2008 a été dur, mais que l'indice se redresse nettement depuis début avril, en rebondissant régulièrement sur sa moyenne mobile 50 (courbe en bleu) qui sert de support et qui a tendance à remonter, ce qui laisserait préfigurer une remise en route progressive de la dynamique haussière.


Exemple n°2 (soyons dubitatifs)
On remarque nettement que la belle mécanique haussière a été cassée au début de l'année 2008, mais que l'indice tend à résister dans une phase de consolidation incertaine qui laisse envisager aussi bien une reprise du mouvement haussier (simple pause) qu'un renversement de tendance lourd (amorce d'une chute plus sévère).


Exemple n°3 (soyons déprimants)
Dans un beau jeu de montagnes russes, le décrochage du début de l'année semble n'être que les prémices d'une grande dégringolade boursière qui nous amènerait l'indice vers les 3000-3500 points, c'est-à-dire pour parler franchement vers un krach. Attendez vous alors à perdre de l'ordre de 40% sur le cours actuel de vos actions.


Bref, les graphiques boursiers nous permettent de nous rassurer et d'aller dans notre sens. Ils nous rassurent et donnent une garantie, une viabilité à nos scénarios de hausse ou de baisse.

Maintenant voici une question subsidiaire : à votre avis, quelles aurait été votre analyse en avril 1930 (en rouge sur le graphique) quand l'indice Dow Jones regagnait quasiment 50% des pertes subies à la fin de l'année 1929 ? Vous connaissez mon avis...


E.B. // Moneyzine

mercredi 30 avril 2008

Nostalgie boursière

René Tendron à l'émission Apostrophes - source:INA J'ai très vite été fasciné par le monde de la Bourse dès mon enfance. A l'époque, j'attendais patiemment la fin du journal d'Yves Mourousi pour enfin écouter René Tendron et sa fameuse moustache (voir ci-contre) en direct du Palais Brongniart (et oui, ça s'écrit bien de cette façon) qui nous donnait le prix des plus fortes hausses et baisses en francs, ainsi que le prix du lingot d'or et du Napoléon (qui constituaient alors le fond de portefeuille de tout bon père de famille).

J'avoue que j'avais un peu oublié toute cette époque, mais je suis tombé récemment sur une image de Catherine Deneuve, et là, telle la madeleine de Proust, mes précoces souvenirs financiers ont ressurgi instantanément.

Nous sommes en 1987 et, grande première, une publicité pour acheter des actions d'une société bientôt privatisée passe à la télévision. Suez a choisi Catherine Deneuve qui, en femme d'affaires avisée, nous dit qu'elle va souscrire à l'introduction en Bourse, parce qu'elle croit en cette belle banque de Suez (c'était à l'époque une compagnie financière). J'avais alors 13 ans, et horreur, impossible de devenir actionnaire. Je me souviens avoir harcelé ma mère pour qu'elle ouvre un compte-titres et achète quelques actions (l'effet Catherine). Ce ne fût pas réellement une bonne affaire étant donné les prix de courtage et de droits de garde pratiqués à l'époque, mais j'étais aussi content que si j'avais eu une boîte de Lego pour Noël (tel le jeune capitaliste téléphage insouciant de mon époque).

Catherine nous donnait envie d'acheter du Suez

Mais à ce même moment, je ne me doutais pas que c'était déjà la fin d'une ère. En effet, en cette même année 1987, ce fut également la fermeture de la corbeille à la Bourse de Paris. Pour ceux qui ne s'en souviennent pas, ou qui n'étaient pas encore nés, on ne parlait pas alors de traders mais d'agents de change. Ces derniers se réunissaient autour d'un tas de sable (où ils pouvaient jeter les cendres de leurs cigares !!!) derrière une palissade molletonnée de velours rouge, pour crier leurs ordres d'achats et de ventes.

Comme pour le poisson, la négociation se passait à la criée et étaient réservée aux initiés qui possédaient le vocabulaire et les gestes appropriés et incompréhensibles pour nous pauvres profanes. Bref, c'était beaucoup plus énigmatique et envoûtant qu'aujourd'hui où, pour tout reportage sur les questions boursières, on nous montre inlassablement les mêmes images froides de salles de marché avec 3 écrans d'ordinateurs au m² qui clignotent en rouge et vert. Mais bon, vous vous dites que je deviens un peu trop nostalgique.

A vrai dire, je ne suis pas du genre à idéaliser le passé. Néanmoins, j'ai regardé la semaine dernière un reportage sur France 5 intitulé "Traders, les maîtres de la bourse". Loin de mes souvenirs de golden boys de la fin des années 80 (même s'il y en a encore certains), ce reportage présentaient plusieurs portraits de traders d'aujourd'hui. Quelques-uns s'en sortaient pas mal financièrement (rien d'extraordinaire pour autant), mais ce n'était pas le plus important. Ce qui ressortait, c'était avant tout le stress, la solitude, les doutes vis-à-vis du marché qui ronge incessamment l'esprit.

Je fus surtout marqué par ce jeune Français exilé à Londres (toujours présentée comme l'eldorado ultime du trader européen) et qui travaillait pour une société de courtage. Toute la journée, il se faisait traiter plus ou moins comme un chien au téléphone par ses clients, disposait seulement de 5 minutes pour aller s'acheter un sandwich club au Marks & Spencer local, travaillait comme un fou et tout cela pour... 2 500 euros par mois ! Autant dire qu'il était contraint de vivre en collocation dans une banlieue très éloignée de la City. Comment alors voulez-vous faire rêver qui que ce soit ? Catherine reviens ! Non, c'est sûr, la Bourse : c'était mieux avant...

E.B. // Moneyzine

dimanche 20 avril 2008

Le marché respire encore... est-ce bon signe ?

Alors finie ou pas finie cette crise financière... excusez-moi, cette crise de solvabilité... de confiance... bref cette crise (c'est vrai que tout seul, le mot fait beaucoup plus peur).

Selon Patrick Artus, directeur des études économiques chez Natixis (un peu bling-bling ce titre sur une carte de visite quand même), interviewé dans le magazine Challenges, et qui revient des Etats-Unis nous précise-t-on (alors là c'est sûr il sait de quoi il parle), c'est simple : "La crise financière est finie". J'adore ce genre d'analyse, aucun argument : c'est bon je sais, j'ai vu, je reviens des States, vous pouvez y aller. Inutile de préciser que le titre Natixis a perdu environ 46% en un an, ce monsieur sait de quoi il parle...

Plus sérieusement, serait bien malin celui qui pourrait nous dire avec certitude si le CAC 40 va dépasser les 5000 points de manière durable ou s'il va retomber tel un soufflé servi trop tard vers les 4500 points. Peut-être que oui, peut-être que non : bref la fameuse réponse du trader normand (je rappelle que Jérome Kerviel n'est pas normand mais breton. On s'en serait douté...)
Vous allez me dire, rien de très neuf. Les optimistes achètent, les pessimistes vendent à découvert. Mais ce constat apparaît encore plus marqué que d'habitude et depuis quelques jours il n'y a plus de tendance clairement établie : on dit que le marché entre dans une phase de respiration.

L'incertitude étant chronique, la frénésie habituelle se ramollit : les traders prennent-ils plus de vacances ou de lexomil ? Toujours est-il que les volumes échangés deviennent très modestes, que la moyenne mobile à 50 jours s'applatit désespérement : bref la déprime.

L'indice CAC 40 depuis 3 mois : vous voyez il respire

Comme on s'embête, ceux qui restent s'amusent à se faire peur. La semaine dernière sur General Electric à Wall Street (quasiment 13 % en une séance à cause d'un bénéfice net en recul de 12% ce qui l'amène seulement à 4,4 milliards de $, ouh la la). Ou alors sur L'Oreal à Paris qui a perdu plus de 7% en une séance à cause d'un chiffre d'affaires en progression de 5,1% alors que JPMorgan prévoyait 6,3%... trop dur.

Je vais avais dit, c'est pathétique... et peu digne de figurer dans un film d'horreur. On dit certes que le marché est volatil mais cela ne concerne en fait que quelques valeurs précises, pour le reste, c'est le calme plat (cette fameuse respiration du marché). En fait, comme personne ne fait grand chose, un petit BOUH et tout le monde se met à vendre sans vraiment réfléchir, mais bon pendant ce temps on fait au moins quelque chose...

En attendant que le marché reprennent une direction nettement baissière ou haussière, et qu'il n'ait plus le temps de respirer (nous non plus), c'est peut-être le moment pour nous de prendre des vacances, de réfléchir à d'autres formes d'investissements, de lire des livres (si, si, Tonton Warren l'a dit)... Je sais, c'est dur, mais vous allez y arriver.

E.B. // Moneyzine

vendredi 11 avril 2008

Les bons conseils de Tonton Warren

Depuis qu'il est devenu l'homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 62 milliards de $ par le magazine Forbes dans son classement 2008, Warren Buffet est devenu une sorte de légende vivante, sorte de gourou du monde de l'investissement, divinement surnommé "l'Oracle d'Omaha".

Outre son sens des affaires, l'homme est également connu pour ses conseils pleins de bon sens et de sagesse qu'il offre au monde sous la forme de citations plus ou moins énigmatiques comme par exemple :

"Si vous ne connaissez pas les bijoux, connaissez le bijoutier"

"Ne demandez jamais à un coiffeur si vous avez besoin d’une coupe de cheveux"

Bon d'accord, avouez que ça vous fait sourire, ce côté phrase à deux balles qu'on peut trouver dans tous les bons vieux almanachs qui se devaient d'offrir un bon conseil par jour. Sauf que la bourse s'enrhume, que votre portefeuille a au moins pris 10% dans la vue depuis le début de l'année, et que ce bon Warren caracole en tête avec ses 62 patates transgéniques.

Il a bien raison de se moquer de nous. D'ailleurs il persiste et signe : si vous voulez profiter de ses recettes, il vend un livre (17,58 euros sur Amazon) 24 leçons pour gagner en Bourse où il reprend ses bons conseils du style :

"Investissez dans des entreprises et non dans des actions"

"Le bon moment pour investir est quand personne ne veut acheter"

Si je comprends bien, il va falloir sur ruer sur le dollar ou les maisons à Cleveland... Bon allez, j'arrête il serait capable de me faire un procès.

Et non Warren ne se moque pas de nous, mais de tous ces jeunes loups qui croient en l'argent facile et qui pleurent comme des enfants quand leurs nouveaux joujous financiers ne fonctionnement plus comme ils veulent (merci la titrisation !)

Warren, tel le vieux sage qui vit encore dans sa maison d'Omaha achetée 31 500 $ en 1957, regarde en rigolant les erreurs qu'il a du lui-même connaître dans sa jeunesse. Mais très tôt il eu assez de recul pour redonner toute sa place à la réflexion, à la simplicité et à la lenteur (il nous conseille de lire des livres pour comprendre dans quoi on investit, c'est dingue !). Il sait aujourd'hui que le temps donne toujours raison à ceux qui savent attendre (ça y est, je me mets à parler comme lui).

C'est ainsi qu'il doit sans doute apprécier la nouvelle plate-forme de négociation Alternativa qui propose d'investir dans le capital de PME à travers des titres côtés une seule fois par mois ! Vous avez le temps de voir venir, de lire et de comprendre. Pas de décision hasardeuse prise sans vraiment réfléchir car complètement grisé et aveuglé par le marché. Au moins si vous vous trompez, vous saurez à qui vous en prendre...

Allez une petite dernière en conclusion, ça vous fera réfléchir cette nuit :

"Quand on est dans un trou, la pire chose à faire est de continuer de creuser"

E.B. // Moneyzine

lundi 7 avril 2008

Forex : le nouveau casino online

Depuis quelques mois, de nombreux sites de trading (Saxobank, IGMarkets, iForex, etc.) proposent d'accéder au FOREX (Foreign Exchange) c'est-à-dire au marché des changes où sont échangées les devises entre elles.

Cette nouvelle opportunité d'investissement paraît très alléchante :

Premièrement, Il n'y pas de commission étant donné que le courtier se rémunère sur le PIP (Price Interest Point), c'est-à-dire pour faire simple sur la différence entre le prix d'achat et le prix de vente d'une devise.

Deuxièmement, avec la volatilité de certaines devises, notamment du couple infernal euro/dollar (eur/usd), on se dit qu'il y a de l'argent facile à faire, surtout que l'équivalent de 3000 milliards de $ environ s'échangent quotidiennement sur ce marché. On imagine qu'on va bien réussir à en grapiller quelques miettes, qu'avec notre petit budget, on ne risque pas trop de se faire remarquer.

Troisièmement, la plupart des plate-formes proposent de s'entraîner avec un compte virtuel (souvent de 100 000 $). Alors une fois inscrit, on se lâche, on tente les opérations les plus folles (c'est toujours plus faciles quand ce n'est pas notre argent) et puis on gagne, et même pas mal du tout. On commence déjà à imaginer des folies et on s'inscrit alors avec du vrai argent.

Bon, allez vous vous dites, il a perdu, il est aigri... moi, je suis plus fort que lui, je vais l'avoir cette nouvelle voiture de sport pour frimer... Sachez que beaucoup de mes amis, par ailleurs très bons spéculateurs sur les marchés classiques, se sont brûlés les ailes tout comme moi.

D'abord, à moins que vous soyez vraiment maudit, on commence par gagner. Un peu certes en valeur absolu (je n'ai pas non plus misé toute ma fortune) mais si l'on regarde en valeur relative, cela donne le vertige. En une semaine, j'ai dépassé les 100% de gains sans m'attarder particulièrement sur l'analyse des devises et des événements de la journée.

Un coup j'achète, un coup je vends selon mon humeur, une fois qu'on clique, on voit tout de suite une case plus-value qui s'affole et en quelques minutes, on se retrouve plus ou moins riche de centaines de dollars (quand on gagne, ça donne vraiment la pêche le matin, en tout cas beaucoup plus que le café).

Et puis, en quatre ou cinq coups, la catastrophe : game over. Mes 100% de gains, je les ai pulvérisé en 10 minutes (pour une première perte, la journée a été dure). Bref, le vent a tourné et impossible de me refaire. Vous vous dites que j'aurai du analyser ce marché plus attentivement et ne pas me lancer au hasard, mais toute analyse me semble très difficile à mener étant donné que tout va très vite et que chaque information se retrouve dans le cours avant même que vous en ayez eu connaissance.

Avec du recul, j'apparente ce genre de transaction à du casino, du moins pour nous pauvres petits particuliers. En effet, un soir on rentre plein d'espoir dans un casino en se disant qu'on se limite par exemple à 100 euros pour la soirée. On perd un peu, et puis bingo on commence à accumuler : 150, 180, 200... On y croit, le coeur palpite et puis... au bout de deux à trois heures, on a tout grillé, du moins 95 % d'entre-nous. J'ai d'ailleurs retrouvé ce chiffre sur un article (95% Losser + 5% Winner = Forex) plus tard : 95% des particuliers qui tradent sur ce marché auraient perdu toute leur mise de départ au bout de trois mois.

Alors toujours prêts à tenter votre chance ? Je suis sûr qu'il y aura toujours des sites pour vous vendre des solutions miracles pour contrôler vos émotions et faire partie des 5%. Si j'étais vous, je monterais plutôt une plate-forme de Forex...

E.B. // Moneyzine