lundi 1 décembre 2008

Comment parler de la crise sans faire peur ?

Le monde est en crise, c’est du moins ce que l’on entend à longueur de journée dans les médias. Pourtant, la semaine dernière, un homme est mort écrasé par une foule de consommateurs prêts à tout pour faire de bonnes affaires à l’occasion du « Black Friday », nom assez cynique donné par les Américains au vendredi faisant suite au jeudi de Thanksgiving, et qui donne traditionnellement lieu à une kyrielle d’offres promotionnelles de la part de magasins voulant capter une clientèle faisant le pont ce jour là.

Ainsi, tout espoir n’est pas mort : la consommation pourrait reprendre, le moral des ménages ressurgir des tréfonds statistiques où on il s’était terré. La « positive attitude » semble vouloir redevenir à la mode car, à trop parler de crise, les médias commencent à casser l’ambiance et à lasser tout le monde. Voici donc quelques conseils pour utiliser « les mots de la baisse » sans passer pour un triste rabat-joie :

Crise : Evitez d’employer le mot seul car le mot prend une dimension trop globale, trop apocalyptique. Rajoutez-lui un domaine bien circonscrit (exemples : financière, immobilière, des subprimes, de nerfs…), ce qui permet de dédramatiser le terme et de le cantonner dans un domaine qui paraît assez abstrait (à moins que vous soyez un sale financier impliqué jusqu’au cou dans la spéculation de produits douteux, mais dans ce cas, vous vous êtes sans doute déjà « refait »). N’hésitez à présenter également la crise comme une opportunité (d’inventer des énergies ou des voitures propres, de réformer les règles de régulation financière…). Ça n’engage à rien, mais au moins on reste confiant car un avenir différent semble se profiler.

Récession : Evidemment, le terme n’est pas très positif, mais il est possible de vite le neutraliser. Pour cela, il suffit de le ramener à une dimension technique : « deux trimestres consécutifs de baisse du PIB ». Ainsi, ça ne paraît pas si dramatique : on se rassure en se disant que ce n’est qu’une mauvaise phase à passer. Néanmoins, pour éviter toute paranoïa, préférez-lui le terme « croissance négative ».

Croissance négative : Merveilleuse expression (oxymore) sans doute inventée par des économistes traités aux antidépresseurs. Certes, le qualificatif est associé à la négation mais l’essentiel de l’expression reste inscrite dans un cycle de croissance, postulat essentiel à la survie du système capitaliste. Enfin, surtout on ne parle pas de « décroissance », terme absolument interdit, utilisé par des écolo-marxistes qui veulent revenir à l’âge de pierre et nous faire manger du tofu !

Dépression : Terme rédhibitoire signifiant une longue agonie de notre économie « réelle ». Le mot est associé à une maladie qui mène parfois au suicide. C’est ainsi que les grandes dépressions connues par le passé ont souvent menées à des guerres, mondiales de surcroît. Certains économistes ont voulu voir dans ces guerres, un traitement de choc ayant réussi à redynamiser le patient. Certes, mais pour croire cela, il faut tout de même disposer d’une grande foi en la résurrection. A mon avis, ce mot est dangereux, destructeur et contagieux. Lui préférer n’importe quel autre.

Krach : Le mot reste associé à des marchés précis (financiers, immobiliers…), ainsi il paraît assez abstrait au plus grand nombre. De plus, le phénomène survient suite à une bulle, il intègre donc une part de justice, de rééquilibrage, de retour (certes violent) à la normale. On peut l’utiliser sans réel danger, son caractère anxiogène restant assez limité, sauf pour un petit nombre d’initiés. (Syn. : Eclatement)

Contraction : Très beau terme qui évite toute consonance trop négative. Aucune valeur n’est véritablement perdue, car l’économie ne fait que se contracter, comme si elle avait pris un peu froid ou un peu peur. Il suffit donc de se mettre un peu au vert, de se reposer, de laisser passer la fièvre, et le patient pourra repartir de plus belle. A utiliser sans réel danger.

Ralentissement : Ce mot a un peu la même connotation que « contraction » mais il est plus dangereux à utiliser. Après un ralentissement, il y a des chances pour que le cœur s’arrête. Or, justement c’est ce qu’on veut éviter à tout pris : la mort clinique du patient. Minimisez la portée du terme en lui associant des qualificatifs rassurants : « petit », « léger », « passager », etc.

Vous voilà maintenant armé pour redonner confiance aux investisseurs et aux consommateurs, nos deux « mamelles » de l’économie. Entrainez-vous et surtout soyez rassuré, dans quelques mois on ne comprendra même plus pourquoi vous continuez à parler de ce sujet. Néanmoins, gardez toujours ces conseils dans un coin de votre tête, juste au cas où…

E.B. // Moneyzine