mardi 28 octobre 2008

Faut-il se liquéfier ou s’endurcir ?

Les marchés financiers étant en cours de liquéfaction, faut-il chercher à les imiter en conservant un maximum de liquidités dans son portefeuille ? Certes, il peut paraître attrayant de se positionner à l’achat avec des indices aussi bas, mais vous avez envie de dormir (tout comme ces salariés américains qui avouent avoir un sommeil dérangé à cause de la crise) et vous en avez marre de suivre des cours en montagnes russes qui vous font passer de l’espoir au désespoir plusieurs fois dans la même journée.

Bien entendu, il serait sans doute sage d’acheter progressivement, dans une optique à moyen terme, au risque d’engranger des pertes prochainement. Certains analystes voient même se profiler un rebond assez significatif suite à l’apaisement que devraient provoquer l’élection américaine, et dans une moindre mesure les réunions successives du G20 afin de réguler la finance mondiale. Il serait alors tentant de miser sur des produits avec effets de levier : warrants ou autres trackers leveragés, mais tout ceci vous semble maintenant très exotique. Vous avez déjà perdu plus de 40% sur vos actions et la bourse commence à vous énerver.

Si vous n’en possédez pas déjà un, vous vous jetez donc sur les offres que proposent les banques afin de vous appâtez pour ouvrir un Livret A chez elles. Vous remplissez votre Livret de Développement Durable, et vous arbitrez votre contrat d’assurance-vie vers des supports en euros moins risqués. Tout cela vous rapporte environ 4% par an, mais avec une inflation qui tourne autour de 3,5% par an, il vous faudra quelques centaines d’années pour faire augmenter confortablement votre patrimoine.

Au moins, me direz-vous, en restant liquide, on ne perd pas d’argent. Certes, mais en y réfléchissant bien, êtes-vous vraiment si certain que vos euros ne vont pas perdre subitement de la valeur ? En effet, la volatilité sur le marché des devises atteint des niveaux tout aussi ahurissants que certains marchés actions. De plus, certains analystes annoncent une possible crise de l’euro liée à un éventuel krach concernant les pays émergeants. Certes, il ne s’agit que de propos d’économistes de mauvais augure, mais vous vous sentez déjà moins rassuré.

Dans un article récent, en m’interrogeant sur la rationalité des marchés, j’émettais des doutes sur l’or étant donné que la valeur de ce métal était plus psychologique que réelle. Néanmoins, je commence à revenir sur ce jugement, et à trouver des avantages à un certain endurcissement de mes liquidités.

Premièrement, les marchés sont particulièrement erratiques en période de crise et donc en grande partie irrationnels. Il ne serait donc pas absurde de miser sur une valeur intrinsèquement affective, et dont le prix s’avère plus dicté par la psychologie que par la loi de l’offre et de la demande. Deuxièmement, même si c’est l’imaginaire collectif qui confère sa valeur à l’or, celui-ci possède une inertie intéressante en période d’instabilité : autrement dit, on ne change pas l’opinion de milliards de personnes vis-à-vis d’un bien en quelques semaines. Troisièmement, étant donné le flou à venir sur les perspectives économiques mondiales, l’or incarne une certaine stabilité appréciable, un repère auquel on pourra toujours se référer en cas de turbulences monétaires graves.

Pourtant, comme je le soulignais également dans cet article, il faudra être particulièrement attentif à tout excès du marché. Personnellement, j’affecte actuellement environ un quart de mon patrimoine à l’acquisition d’or métal. Néanmoins, j’achète maintenant car j’estime que les prix sont raisonnables (faute d’être rationnels). En cas de hausse soudaine ou trop prononcée, je renoncerai néanmoins à ces achats. En effet, même pour cette valeur réputée tranquille, nous ne sommes pas à l’abri de la formation d’une bulle potentiellement destructrice (Le prix de l’or étant particulièrement corrélé au comportement des vendeurs, on peut légitimement imaginer que leur future propension à se débarrasser d’une valeur considérée comme stable va, au fil des incertitudes, aller en s’amoindrissant).

Pour des raisons de sécurité, vous pouvez bien entendu faire le choix d’acheter des parts d’or physiques soigneusement gardées dans des coffres de Zürich ou de New York. Néanmoins, je déconseillerais tous les produits financiers indexés sur le cours de l’or qui me semblent encore trop virtuels à mon goût. Pour ma part, je préfère investir dans des pièces cotées qui ont le double avantage de me refaire découvrir l’histoire du XIXe et du XXe siècle, et de me ramener dans une dimension toute matérielle de l’économie qui certes paraît régressive voire même barbare, mais qui en ces temps de crise apporte un sentiment de sérénité qui n’a pas de prix.

E.B. // Moneyzine

lundi 20 octobre 2008

Economie réelle vs. économie virtuelle

En écoutant les différents commentaires liés à la crise, on serait en droit de se demander si l’économie ne serait pas victime d’un schisme. D’un côté, une économie réelle composée de vraies entreprises avec à leur tête de vrais entrepreneurs qui s’évertuent à survivre dans un environnement concurrentiel difficile, et surtout qui doivent se battre sans cesse contre des banques qui menacent leurs projets en refusant de leur allouer des prêts. D’un autre côté, une économie virtuelle (ou fausse économie, ou bien encore économie imaginaire) composée de banques ou de hedge funds avec à leur têtes des myriades de spéculateurs assoiffés de rendement et prêts à vendre leur mère à découvert pour être sûrs de toucher leur sacro-saint bonus. Certes, les médias raffolent des visions manichéennes, mais n’est-il pas devenu dangereux de stéréotyper deux pseudo-facettes de l’économie ?

L’abus de l’expression « économie réelle », qui souffre soi-disant des excès de l’économie virtuelle (autrement dit financière), implique une distinction moralisante, voire rassurante pour l’opinion publique. Il existerait un capitalisme « sauvage », mauvais. Celui-ci doit absolument être moralisé, car il est en train de corrompre le bon capitalisme entrepreneurial, qui lui est particulièrement vertueux, créant des emplois et faisant vivre de vrais travailleurs dans des régions bien concrètes (bien éloignées des îles Caïman, nom particulièrement évocateur pour un paradis fiscal censé abrité tous les carnassiers de la finance).

Certes, cette vision moralisante rassure. Tout le système n’est pas corrompu, il est alors possible d’identifier des coupables. Mais, un tel raisonnement découle surtout d’un fantasme visant à découpler la sphère productive (faite de vrais travailleurs) de la sphère financière (faite de parasites). D’un côté la vertu, de l’autre le vice. Cette vision trouve d’autant plus de succès dans les pays de tradition catholique dans lesquels l’argent a toujours eu quelque chose de sale et de suspect. Or, entretenir un tel fossé peut s’avérer particulièrement dangereuse sur le plan politique, alimentant une sorte de néo-poujadisme défendant le petit entrepreneur méritant au détriment des non-productifs (travaillant dans les sphères obscures d’une économie qu’on a de plus en plus de mal à comprendre).

Oui, l’économie se complexifie mais ce n’est pas en la caricaturant qu’on arrivera à mieux la contrôler. Bien sûr, il n’y a pas deux économies. Il n’y a pas l’effort d’un côté, la facilité de l’autre. Au contraire, la rentabilité, le risque et l’argent irriguent tout le système économique. Les services, notamment financiers, constituent le cœur et même le moteur du dynamisme économique. Les entrepreneurs réels possèdent bel et bien eux aussi un esprit d’entreprise qui les pousse à prendre des risques, à spéculer et à rechercher le profit. On ne peut distinguer le vice de la vertu étant donné qu’en réalité le système économique n’a aucune dimension morale. Vouloir lui en donner une, c’est déjà faire de la politique.

Pourtant me direz-vous, est-il moral que le total des positions financières sur produits dérivés atteignent quelques 600.000 milliards de dollars, soit 10 fois la production « réelle » de l’économie mondiale ? Est-il moral que les Etats doivent élaborer des plans de sauvetage et entrer dans le capital d’établissement financiers afin de sauver les dépôts « réels » des épargnants ? Et bien, ce qui est plutôt immoral, c’est que les différents pouvoirs politiques aient permis d’aboutir à cette situation. Il est bien pratique de dénoncer les règles du jeu en fin de partie alors qu’on est en train de perdre. Les Etats ont été irresponsables de permettre certains abus dont ils ont eux-mêmes profité en multipliant les dettes et les déficits à des fins politiques.

Il faut maintenant remettre beaucoup de choses à plat, ce qui ne peut se faire qu’au niveau mondial et donc de manière coordonnée. Mais qui va décider d’une réelle politique de transparence, politiquement responsable et ne sombrant pas dans la facilité électorale d’accuser et de punir une mauvaise économie imaginaire ? Les Etats en faillite, les organisations internationales vassalisées ? Enfin, sans doute beaucoup d’experts économistes, les mêmes dont la légendaire myopie frise aujourd’hui l’aveuglement.

E.B. // Moneyzine

lundi 13 octobre 2008

The world is not ending

C’est ce genre de message "rassurant" que l’on peut entendre en ce moment sur la chaîne d’information CNN. En effet, les médias nous font le coup de la "positive attitude". Tout s’écroule, mais il faut garder la foi, rester droit et fier, et surtout faire attention à ce qu’on dit. Le vocabulaire employé est particulièrement étudié : on évite les mots récession (ou du moins dépression), on ne parle pas de krach mais de sévère correction ou tout simplement de crise financière (ce qui paraît plus abstrait).

Il est particulièrement intéressant d’observer les commentaires officiels en ce moment. Les mêmes qui n’avaient rien vu venir, nous refont en direct des analyses affirmatives (par exemple, Jacques Attali à 20h sur France 2 qui affirme sans rigoler que la crise est positive car le prix des maisons baisse et que les gens vont pouvoir acheter !). Tous ces « analystes » nous expliquent sans le moindre doute que l’on ne risque rien, que tout va rentrer dans l’ordre. Certes, il est du rôle des médias d’éviter une sorte d’hystérie collective, mais sont-ils pour cela obligés de perdre tout sens critique au point de devenir des organes de propagande nationale destinés à éviter que les gens se ruent vers les banques ?

Les économistes (enfin ceux qui passent à la télé) sont de plus en plus drôles, et ils ne s’en rendent pas compte, ce qui vient renforcer leur sens du comique. La vérité est qu’avec les règles comptables « mark-to-market » et un contexte d’effondrement de la valeur des actifs, les banques (y compris les plus saines) sont obligées de jongler quotidiennement et de pleurer auprès de la BCE pour ne pas se déclarer en faillite. Depuis le lâchage de Lehman Brothers par la FED, le risque est trop grand pour les établissements bancaires de se prêter entre eux (même pour un jour, car la faillite ne prévient pas), d’où les efforts démesurés des chefs d’Etat pour garantir la survie des banques.

L’opinion publique semble croire à tous ces messages. Certes, ce n’est pas très clair, mais les dépôts semblent garantis. Une seule chose semble tout de même bizarre : d’où sort tout cet argent ? On pinaille pour quelques millions de budget ministériel, et là on met sur la table des dizaines voire des centaines de milliards d’euros. Tout ceci me fait penser à une partie de poker où l’Etat serait en train de bluffer en faisant « tapis » pour faire croire aux autres qu’il a une main d’enfer (une quinte-flush). En effet, l’Etat fait croire qu’il peut sauver les banques. Mais si tout le monde commence à faire la queue devant les guichets et que les faillites commencent, on se rendra compte que l’Etat n’avait en fait aucun jeu (ou une paire de deux). Il ne pourrait faire face, étant lui-même dans une situation financière plus que délicate.

C’est un peu ce qui se passe pour l’Islande. Ce petit pays d’un peu plus de 300.000 habitants a mal bluffé et s’est fait avoir. Un Etat ne peut théoriquement pas faire faillite, pourtant c’est bien ce qui est en train de se passer. Fort heureusement, il est assez facile de sauver ce petit nombre d’Islandais (à peine la taille d’une ville de province) : il suffit de trouver un pays plus grand et qui a des liquidités comme la Russie. Celle-ci au passage ferait un bon investissement géopolitique, en mettant sous tutelle un pays bien placé au carrefour des Etats-Unis et de l’Europe, autrefois si convoité durant la guerre froide. De toute façon, les Américains n’y peuvent rien, ça fait bien longtemps qu’ils sont hors-jeu, n’ayant plus d’argent pour miser.

Imaginez maintenant qu’un pays de quelques millions d’habitants se retrouve dans la même situation. Qui serait alors capable de le sauver ? Qu’y a-t-il au-dessus des gros pays pour servir de parachute de secours ? Un vide abyssal, l’idée du chaos. Il est donc dans l’intérêt national de raconter n’importe quoi dans les médias. Il vaut mieux mentir et rester positif que risquer d’empirer la crise. L’histoire jugera sans doute, et certains masques tomberont. En attendant, laissons nous bercer par les belles histoires des économistes avant qu’elles ne deviennent des blagues, ou pire, de sombres cauchemars.

E.B. // Moneyzine