Suite à mon article « J’emprunte donc je suis … moins riche », un lecteur m’a récemment demandé plus de précisions concernant les dettes contractées par les Américains au moyen de leur cartes de crédit, ainsi qu’une comparaison avec l’Europe. Enfin, il me demandait quand le niveau d’endettement allait devenir problématique (si je traduis en langage bancaire, j’imagine que ça signifie catastrophique).
Tout d’abord, en faisant mes recherches, j’ai été très surpris de trouver aussi peu d’informations sur le sujet. Y aurait-il une sorte de « loi du silence » plus ou moins consentie par les acteurs du crédit individuel ? Ce sont à la rigueur les Etats-Unis qui font preuve de plus de transparence. Même si les données ne sont pas des plus récentes, la FED (banque centrale des Etats-Unis) et les organismes de crédit américains semblent en effet plus enclins à communiquer quelques chiffres :
Commençons donc par les Etats-Unis. La dette privée des consommateurs américains (hors prêts immobiliers) atteindrait 2,46 trillions de dollars en juin 2007 (8.200 dollars par habitant).
Les crédits revolving (cartes de crédit US) représenteraient 904 milliards de dollars, soit 3.013 dollars par habitant mais un peu plus de 5.000 dollars par usager car il faut enlever les personnes qui ne possèdent pas de carte (environ un quart des foyers américains). Mais environ 30% des usagers paient leur solde à la fin du mois sans avoir recours au crédit proposé : Ainsi plus de la moitié des Américains n’utilise pas ou quasiment pas les possibilités de crédit offertes par les cartes en plastique (on est loin des clichés).
En moyenne, chaque consommateur a accès à environ 19.000 dollars via ses cartes de crédit : plus de la moitié d’entre eux utiliserait moins du tiers de cette capacité d’emprunt, mais 1 consommateur sur 7 en utiliserait 80% ou plus.
Chaque ménage américain utilise en moyenne ses cartes de crédit pour un somme correspondant à 5% de ses revenus annuels (pas de quoi faire sauter la banque !)
51% de la population américaine possèdent au moins deux cartes de crédit. 10% en possèdent au moins dix ! (Je vous laisse deviner laquelle de ces deux catégories pose le plus de problèmes…)
En Europe, la situation semble plus confuse à appréhender étant donné l’éclatement des données disponibles. Malheureusement, les chiffres concernant les seules cartes de crédit (au sens américain, c’est-à-dire ce que les Européens appellent crédit revolving) sont indisponibles.
Nous devons donc nous contenter des données concernant la totalité des crédits à la consommation. Pour cela, nous utiliserons principalement une étude réalisée par l’organisme de crédit Sofinco à la fin 2007. On y apprend que les encours de crédit à la consommation pour les 27 pays de l’Unions Européenne s’élèveraient environ 1,8 trillions de dollars (3.600 dollars par habitant soit plus de deux fois moins qu’aux Etats-Unis).
Cependant, cette étude met en lumière de grandes disparités régionales (on se doute bien que les Bulgares ne vont pas consommer comme les Suédois). Sans surprise, la palme de l’endettement revient au Royaume-Uni : 8.350 dollars d’encours par habitant. Dans ce pays, plus de la moitié des ménages ont contracté un prêt à la consommation et on y dénombre 55% des cartes de crédit utilisées en Europe !
Outre la langue, les Britanniques semblent donc partager une certaine tendance à l’endettement avec leurs amis Américains (ratio d’endettement étrangement similaire). En revanche, les habitants les moins endettés se concentrent logiquement dans les ex-pays communistes en reconversion. Mais ces derniers constituent un marché en pleine expansion pour les organismes de crédit. Par exemple, les encours de crédits à la consommation des Roumains ont augmenté de 75% en 2007 ! (La moyenne de l’UE se situant à + 6,7%). L’Europe de l’endettement semble avoir de beaux jours devant elle, et l’écart avec les Etats-Unis semble être en voie de résorption progressive.
La dernière partie de la question de mon lecteur concernait l’avenir : A partir de quand la situation allait devenir problématique ? Là encore, les chiffres sont très confus surtout que les critères de surendettement diffèrent d’un pays à l’autre. Pour les Etats-Unis, nous disposons seulement du chiffre annuel de faillites personnelles prononcées : environ 2 millions tous les ans (soit 7 faillites pour 1000 habitants en 2007). Certes, dans 75% des cas, les personnes en faillite possédaient au moins une carte de crédit, mais leur « dette de plastique » représentait en général moins de 20% de leur problème. Concernant l’Europe, la notion de faillite personnelle n’étant pas reconnue partout, la comparaison est malheureusement impossible. Néanmoins, selon diverses sources, on peut estimer raisonnablement à plus de 20 millions le nombre de ménages surendettés en Europe.
Ainsi, contrairement aux idées reçues et, même si le surendettement représente un drame pour celui qui est confronté, la situation globale concernant les encours de crédit à la consommation semble aux Etats-Unis comme en Europe beaucoup moins dramatique qu’on a tendance à le supposer.
Il est vrai que l’imaginaire collectif a davantage tendance à se focaliser sur des supports concrets : la carte de crédit en est un tout trouvé. Bien souvent, la question de l’endettement reste focalisée sur ce morceau de plastique, alors que le véritable souci semble résider ailleurs : la « plastification des dettes » créant une barrière mentale masquant les véritables enjeux.
Il est en effet bien plus difficile d’imaginer et d’être outragé par les ravages d’un prêt immobilier à taux variable, de l’augmentation des dépenses publiques, du déficit de la balance de paiement d’un pays. Pour ces sujets, nous ne disposons pas d’image forte, si ce n’est à la rigueur celle d’un banquier stressé qui joue à l’apprenti-sorcier derrière son ordinateur. Et pourtant, si l’on ne prend que les Etats-Unis :
Sur 9 trillions de dollars d’encours de crédits immobiliers aux Etats-Unis (7 trillions en Europe), plus d’un trillion est basé sur le principe des subprimes : mécanisme qui a engendré 1,3 millions de procédures de saisie immobilière en 2007 (Au moins, toutes ces pancartes « Public Auction » en raison de ces « foreclosures » ont-elles le méritent de générer des images qui alertent progressivement les esprits).
Mais le principal facteur d’endettement reste beaucoup plus silencieux et dépasse de loin le simple cadre de la consommation privée. Le gouvernement fédéral américain augmente sans cesse les dépenses publiques, or il est beaucoup plus difficile de matérialiser les ravages de la dette à travers le lancement d’un programme gouvernemental très coûteux à l’utilité discutable qu’en accusant les cartes de crédit, ce qui tend d’ailleurs à déresponsabiliser opportunément les décideurs politiques. Le déficit gouvernemental officiel des Etats-Unis s’élèverait ainsi à 9 trillions de dollars (Ne nous moquons pas : plus de 11 trillions pour l’Union Européenne). Mais les autorités américaines ne cachent pas qu’il s’agit là d’un chiffre comptable qui notamment ne prend pas en compte les dépenses abyssales engagées en Irak ou en Afghanistan, les différentes pensions civiles et militaires (qui sont destinées à exploser dans les années à venir avec l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers) ou encore le financement du futur programme de Sécurité Sociale promis par les candidats à l’élection présidentielle et qui s’annonce déjà ultra-déficitaire.
Au total, le gouvernement américain avançait le chiffre de 46 trillions de dollars pour 2005 (On serait plus aujourd’hui plus proche des 50 trillions). Les encours de carte de crédit ne représenteraient donc que moins de 2% de ce total ! Le problème semble donc découler davantage d’une logique macroéconomique créatrices de déséquilibres que du comportement irresponsable de quelques consommateurs. Les décideurs américains dépensent trop, l’économie américaine ne produit pas suffisamment (ou du moins consomme plus qu’elle ne produit), beaucoup d’actifs américains sont survalorisés étant donné la quantité trop abondante de dollars en circulation, ce qui intensifie le phénomène de bulles (d’autant plus sensible quand les taux d’intérêt sont bas). Seulement la macroéconomie : c’est un gaz (comme aurait dit Gilles Deleuze). C’est diffus et insaisissable, impossible d’en tirer une image mentale suffisamment marquante. Alors on se rabat sur le plastique…
D’ailleurs ce n’est pas anodin, si David Walker, ancien Contrôleur Général américain, voulant tirer la sonnette d’alarme concernant l’endettement américain, utilisait récemment cette image : « Nous dépensons plus d'argent que nous en créons. Nous mettons tout cela sur une carte de crédit et on compte sur nos petits-enfants pour payer la note. C'est absolument scandaleux ! » Au moins, contrairement aux Européens, beaucoup plus circonspects sur le sujet, les Américains commencent-ils à admettre progressivement le problème… Mais est-il vraiment dans leur intérêt de chercher une solution ?
E.B. // Moneyzine
Tout d’abord, en faisant mes recherches, j’ai été très surpris de trouver aussi peu d’informations sur le sujet. Y aurait-il une sorte de « loi du silence » plus ou moins consentie par les acteurs du crédit individuel ? Ce sont à la rigueur les Etats-Unis qui font preuve de plus de transparence. Même si les données ne sont pas des plus récentes, la FED (banque centrale des Etats-Unis) et les organismes de crédit américains semblent en effet plus enclins à communiquer quelques chiffres :
Commençons donc par les Etats-Unis. La dette privée des consommateurs américains (hors prêts immobiliers) atteindrait 2,46 trillions de dollars en juin 2007 (8.200 dollars par habitant).
Les crédits revolving (cartes de crédit US) représenteraient 904 milliards de dollars, soit 3.013 dollars par habitant mais un peu plus de 5.000 dollars par usager car il faut enlever les personnes qui ne possèdent pas de carte (environ un quart des foyers américains). Mais environ 30% des usagers paient leur solde à la fin du mois sans avoir recours au crédit proposé : Ainsi plus de la moitié des Américains n’utilise pas ou quasiment pas les possibilités de crédit offertes par les cartes en plastique (on est loin des clichés).
En moyenne, chaque consommateur a accès à environ 19.000 dollars via ses cartes de crédit : plus de la moitié d’entre eux utiliserait moins du tiers de cette capacité d’emprunt, mais 1 consommateur sur 7 en utiliserait 80% ou plus.
Chaque ménage américain utilise en moyenne ses cartes de crédit pour un somme correspondant à 5% de ses revenus annuels (pas de quoi faire sauter la banque !)
51% de la population américaine possèdent au moins deux cartes de crédit. 10% en possèdent au moins dix ! (Je vous laisse deviner laquelle de ces deux catégories pose le plus de problèmes…)
En Europe, la situation semble plus confuse à appréhender étant donné l’éclatement des données disponibles. Malheureusement, les chiffres concernant les seules cartes de crédit (au sens américain, c’est-à-dire ce que les Européens appellent crédit revolving) sont indisponibles.
Nous devons donc nous contenter des données concernant la totalité des crédits à la consommation. Pour cela, nous utiliserons principalement une étude réalisée par l’organisme de crédit Sofinco à la fin 2007. On y apprend que les encours de crédit à la consommation pour les 27 pays de l’Unions Européenne s’élèveraient environ 1,8 trillions de dollars (3.600 dollars par habitant soit plus de deux fois moins qu’aux Etats-Unis).
Cependant, cette étude met en lumière de grandes disparités régionales (on se doute bien que les Bulgares ne vont pas consommer comme les Suédois). Sans surprise, la palme de l’endettement revient au Royaume-Uni : 8.350 dollars d’encours par habitant. Dans ce pays, plus de la moitié des ménages ont contracté un prêt à la consommation et on y dénombre 55% des cartes de crédit utilisées en Europe !
Outre la langue, les Britanniques semblent donc partager une certaine tendance à l’endettement avec leurs amis Américains (ratio d’endettement étrangement similaire). En revanche, les habitants les moins endettés se concentrent logiquement dans les ex-pays communistes en reconversion. Mais ces derniers constituent un marché en pleine expansion pour les organismes de crédit. Par exemple, les encours de crédits à la consommation des Roumains ont augmenté de 75% en 2007 ! (La moyenne de l’UE se situant à + 6,7%). L’Europe de l’endettement semble avoir de beaux jours devant elle, et l’écart avec les Etats-Unis semble être en voie de résorption progressive.
La dernière partie de la question de mon lecteur concernait l’avenir : A partir de quand la situation allait devenir problématique ? Là encore, les chiffres sont très confus surtout que les critères de surendettement diffèrent d’un pays à l’autre. Pour les Etats-Unis, nous disposons seulement du chiffre annuel de faillites personnelles prononcées : environ 2 millions tous les ans (soit 7 faillites pour 1000 habitants en 2007). Certes, dans 75% des cas, les personnes en faillite possédaient au moins une carte de crédit, mais leur « dette de plastique » représentait en général moins de 20% de leur problème. Concernant l’Europe, la notion de faillite personnelle n’étant pas reconnue partout, la comparaison est malheureusement impossible. Néanmoins, selon diverses sources, on peut estimer raisonnablement à plus de 20 millions le nombre de ménages surendettés en Europe.
Ainsi, contrairement aux idées reçues et, même si le surendettement représente un drame pour celui qui est confronté, la situation globale concernant les encours de crédit à la consommation semble aux Etats-Unis comme en Europe beaucoup moins dramatique qu’on a tendance à le supposer.
Il est vrai que l’imaginaire collectif a davantage tendance à se focaliser sur des supports concrets : la carte de crédit en est un tout trouvé. Bien souvent, la question de l’endettement reste focalisée sur ce morceau de plastique, alors que le véritable souci semble résider ailleurs : la « plastification des dettes » créant une barrière mentale masquant les véritables enjeux.
Il est en effet bien plus difficile d’imaginer et d’être outragé par les ravages d’un prêt immobilier à taux variable, de l’augmentation des dépenses publiques, du déficit de la balance de paiement d’un pays. Pour ces sujets, nous ne disposons pas d’image forte, si ce n’est à la rigueur celle d’un banquier stressé qui joue à l’apprenti-sorcier derrière son ordinateur. Et pourtant, si l’on ne prend que les Etats-Unis :
Sur 9 trillions de dollars d’encours de crédits immobiliers aux Etats-Unis (7 trillions en Europe), plus d’un trillion est basé sur le principe des subprimes : mécanisme qui a engendré 1,3 millions de procédures de saisie immobilière en 2007 (Au moins, toutes ces pancartes « Public Auction » en raison de ces « foreclosures » ont-elles le méritent de générer des images qui alertent progressivement les esprits).
Mais le principal facteur d’endettement reste beaucoup plus silencieux et dépasse de loin le simple cadre de la consommation privée. Le gouvernement fédéral américain augmente sans cesse les dépenses publiques, or il est beaucoup plus difficile de matérialiser les ravages de la dette à travers le lancement d’un programme gouvernemental très coûteux à l’utilité discutable qu’en accusant les cartes de crédit, ce qui tend d’ailleurs à déresponsabiliser opportunément les décideurs politiques. Le déficit gouvernemental officiel des Etats-Unis s’élèverait ainsi à 9 trillions de dollars (Ne nous moquons pas : plus de 11 trillions pour l’Union Européenne). Mais les autorités américaines ne cachent pas qu’il s’agit là d’un chiffre comptable qui notamment ne prend pas en compte les dépenses abyssales engagées en Irak ou en Afghanistan, les différentes pensions civiles et militaires (qui sont destinées à exploser dans les années à venir avec l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers) ou encore le financement du futur programme de Sécurité Sociale promis par les candidats à l’élection présidentielle et qui s’annonce déjà ultra-déficitaire.
Au total, le gouvernement américain avançait le chiffre de 46 trillions de dollars pour 2005 (On serait plus aujourd’hui plus proche des 50 trillions). Les encours de carte de crédit ne représenteraient donc que moins de 2% de ce total ! Le problème semble donc découler davantage d’une logique macroéconomique créatrices de déséquilibres que du comportement irresponsable de quelques consommateurs. Les décideurs américains dépensent trop, l’économie américaine ne produit pas suffisamment (ou du moins consomme plus qu’elle ne produit), beaucoup d’actifs américains sont survalorisés étant donné la quantité trop abondante de dollars en circulation, ce qui intensifie le phénomène de bulles (d’autant plus sensible quand les taux d’intérêt sont bas). Seulement la macroéconomie : c’est un gaz (comme aurait dit Gilles Deleuze). C’est diffus et insaisissable, impossible d’en tirer une image mentale suffisamment marquante. Alors on se rabat sur le plastique…
D’ailleurs ce n’est pas anodin, si David Walker, ancien Contrôleur Général américain, voulant tirer la sonnette d’alarme concernant l’endettement américain, utilisait récemment cette image : « Nous dépensons plus d'argent que nous en créons. Nous mettons tout cela sur une carte de crédit et on compte sur nos petits-enfants pour payer la note. C'est absolument scandaleux ! » Au moins, contrairement aux Européens, beaucoup plus circonspects sur le sujet, les Américains commencent-ils à admettre progressivement le problème… Mais est-il vraiment dans leur intérêt de chercher une solution ?
E.B. // Moneyzine
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