lundi 4 mai 2009

Yuppie ! La fête est finie

Les mots changent mais les idées restent. Dans les années 1980, le mot yuppie fleurissait dans tous les médias comme l’archétype de la réussite sociale. Un yuppie (contraction de Young Urban Professional) était en quelque sorte la version anglophone du « beau, jeune, riche et en bonne santé ».

Le yuppie travaillait le plus souvent à Wall Street et était parfois aussi appelé « Golden Boy ». A l’époque, je me souviens avoir lu un article qui disait que certains d’entre eux gagnaient parfois plus de 100 000 francs français par mois (l’équivalent de 15 000 euros aujourd’hui, sans compter l’inflation). Certes, de nos jours, un tel revenu est sans doute digne d’un loser et permet à peine de s’acheter une montre correcte, mais j’avoue que cela m’avait alors impressionné.

Tout allait bien pour eux tant que les marchés boursiers montaient, et puis tout à coup la situation s’est mise à déraper. Le krach d’octobre 1987 (qui apparaît ridicule aujourd’hui) commence alors à pointer du doigt certaines dérives du système financier. L’image du « golden boy » se ternit peu à peu pour devenir celle d’un jeune con peu scrupuleux prêt à vendre père et mère pour toucher son bonus.

Hasard du calendrier ou pas, en décembre de la même année sort le film « Wall Street » d’Oliver Stone. Le personnage de Gordon Gekko tue alors définitivement l’image du sympathique yuppie. Michael Douglas incarne le cynisme à l’état pur : Gordon négocie plus d’un milliard de dollars avant même son premier petit déjeuner, et se fout comme de sa première culotte des conséquences que ces transactions peuvent avoir sur l’économie « réelle » ou sur la vie des gens.

Un pas était franchi. Le yuppie n’était plus notre ami, et il n’était même plus l’ami de l’économie. C’était devenu un requin déconnecté de la réalité, vivant dans un aquarium obscur et prêt à bouffer tout cru n’importe quelle société battant un peu de l’aile. Pour ne rien arranger, Bret Easton Ellis en rajouta une couche en imaginant Patrick Bateman. Non content d’être un voleur, le yuppie devenait serial killer !

Un rêve s’écroulait et le mot yuppie tomba peu à peu en désuétude. La bourse perdit un peu de sa superbe médiatique dans les années 1990, mais elle revint en force à l’aube des années 2000. Les marchés devenaient fous, des fortunes immenses se constituaient ou disparaissaient.

Une nouvelle appellation commença alors à devenir à la mode, nous découvrions le monde des traders. Avec l’explosion des systèmes informatiques et d’Internet, le trader passait son temps devant des écrans clignotants. Il tapotait sur des boutons, personne ne comprenait vraiment à quoi cela servait, mais tout le monde savait que cela rapportait un maximum d’argent.

Certes, il y avait quelques accidents. En 1995, cela s’était mal passé pour Nick Leeson qui en spéculant avait mis par terre une respectable banque anglaise. Mais finalement rien de très sérieux (860 millions de livres sterling perdues soit à peine de quoi attirer l’attention aujourd’hui quand l’unité courante est devenue le millier de milliards…).

Heureusement, Ewan McGregor avait sauvé la mise en rendant le personnage presque sympathique dans le film « Rogue Trader » (sorti sans le qualificatif « rogue » en France, comme si un trader était forcément une fripouille). Les traders pouvaient donc se vautrer sans complexe dans la bulle Internet naissante, sans susciter trop d’émois.

Malheureusement, quand une bulle explose, les événements prennent une dimension morale. Le commun des mortels sous-payé se dit qu’il y a une justice, et l’opinion recommença à pointer certaines dérives. Mais à vrai dire cela avait peu d’importance.

En effet, avec la flambée des hedge funds, peu importait la direction de la bourse. Un seul mot d’ordre : spéculer. Dans ce cas, la baisse n’a jamais été un problème, elle devient juste un prétexte pour mettre en place une gestion alternative.

Je ne sais pas si c’est à partir de là, mais progressivement tout s’est mis à partir dans tous les sens. N’importe quel tactique est apparue viable tant qu’elle générait du profit : trafic de comptabilité, analyses complaisantes, excès d’effet de levier, produits financiers exotiques censés dilués le risque…

Et krach… mais cette fois-ci les répercussions semblent beaucoup plus sérieuses. Des gens se retrouvent dehors et/ou au chômage, de « vraies » industries commencent à fermer leur porte, des économies « réelles » découvrent la récession.

Face à tel cataclysme, on comprend bien que l’opinion publique ait besoin d’un coupable, et quoi de mieux que cet univers de la finance : opaque, mystérieux voire mythologique. Un monde fait de dieux, de héros plus ou moins sacrifiés, un miroir des comportements les plus vils et où toute morale apparaît bien relative.

Le trader est en passe de devenir le symbole du vol, de la corruption, de la cupidité et du mensonge (liste non exhaustive). On le traque, il doit parfois se déguiser, son nom est devenu une insulte, bref c’est la honte. A l’instar d’une idole qu’on a plaisir à enflammer, le trader est condamné à endosser la responsabilité des échecs de l’humanité.

L’argent a la troublante faculté de générer l’admiration, l’envie, la jalousie et la haine. L’image du trader ne fait qu’évoluer au gré de ces sentiments humains. Quand tout ira mieux, tel le phœnix, il renaîtra encore plus flamboyant… mais peut-être encore sous un autre nom !

E.B. // Moneyzine

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