lundi 20 octobre 2008

Economie réelle vs. économie virtuelle

En écoutant les différents commentaires liés à la crise, on serait en droit de se demander si l’économie ne serait pas victime d’un schisme. D’un côté, une économie réelle composée de vraies entreprises avec à leur tête de vrais entrepreneurs qui s’évertuent à survivre dans un environnement concurrentiel difficile, et surtout qui doivent se battre sans cesse contre des banques qui menacent leurs projets en refusant de leur allouer des prêts. D’un autre côté, une économie virtuelle (ou fausse économie, ou bien encore économie imaginaire) composée de banques ou de hedge funds avec à leur têtes des myriades de spéculateurs assoiffés de rendement et prêts à vendre leur mère à découvert pour être sûrs de toucher leur sacro-saint bonus. Certes, les médias raffolent des visions manichéennes, mais n’est-il pas devenu dangereux de stéréotyper deux pseudo-facettes de l’économie ?

L’abus de l’expression « économie réelle », qui souffre soi-disant des excès de l’économie virtuelle (autrement dit financière), implique une distinction moralisante, voire rassurante pour l’opinion publique. Il existerait un capitalisme « sauvage », mauvais. Celui-ci doit absolument être moralisé, car il est en train de corrompre le bon capitalisme entrepreneurial, qui lui est particulièrement vertueux, créant des emplois et faisant vivre de vrais travailleurs dans des régions bien concrètes (bien éloignées des îles Caïman, nom particulièrement évocateur pour un paradis fiscal censé abrité tous les carnassiers de la finance).

Certes, cette vision moralisante rassure. Tout le système n’est pas corrompu, il est alors possible d’identifier des coupables. Mais, un tel raisonnement découle surtout d’un fantasme visant à découpler la sphère productive (faite de vrais travailleurs) de la sphère financière (faite de parasites). D’un côté la vertu, de l’autre le vice. Cette vision trouve d’autant plus de succès dans les pays de tradition catholique dans lesquels l’argent a toujours eu quelque chose de sale et de suspect. Or, entretenir un tel fossé peut s’avérer particulièrement dangereuse sur le plan politique, alimentant une sorte de néo-poujadisme défendant le petit entrepreneur méritant au détriment des non-productifs (travaillant dans les sphères obscures d’une économie qu’on a de plus en plus de mal à comprendre).

Oui, l’économie se complexifie mais ce n’est pas en la caricaturant qu’on arrivera à mieux la contrôler. Bien sûr, il n’y a pas deux économies. Il n’y a pas l’effort d’un côté, la facilité de l’autre. Au contraire, la rentabilité, le risque et l’argent irriguent tout le système économique. Les services, notamment financiers, constituent le cœur et même le moteur du dynamisme économique. Les entrepreneurs réels possèdent bel et bien eux aussi un esprit d’entreprise qui les pousse à prendre des risques, à spéculer et à rechercher le profit. On ne peut distinguer le vice de la vertu étant donné qu’en réalité le système économique n’a aucune dimension morale. Vouloir lui en donner une, c’est déjà faire de la politique.

Pourtant me direz-vous, est-il moral que le total des positions financières sur produits dérivés atteignent quelques 600.000 milliards de dollars, soit 10 fois la production « réelle » de l’économie mondiale ? Est-il moral que les Etats doivent élaborer des plans de sauvetage et entrer dans le capital d’établissement financiers afin de sauver les dépôts « réels » des épargnants ? Et bien, ce qui est plutôt immoral, c’est que les différents pouvoirs politiques aient permis d’aboutir à cette situation. Il est bien pratique de dénoncer les règles du jeu en fin de partie alors qu’on est en train de perdre. Les Etats ont été irresponsables de permettre certains abus dont ils ont eux-mêmes profité en multipliant les dettes et les déficits à des fins politiques.

Il faut maintenant remettre beaucoup de choses à plat, ce qui ne peut se faire qu’au niveau mondial et donc de manière coordonnée. Mais qui va décider d’une réelle politique de transparence, politiquement responsable et ne sombrant pas dans la facilité électorale d’accuser et de punir une mauvaise économie imaginaire ? Les Etats en faillite, les organisations internationales vassalisées ? Enfin, sans doute beaucoup d’experts économistes, les mêmes dont la légendaire myopie frise aujourd’hui l’aveuglement.

E.B. // Moneyzine

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