
J'avoue que j'avais un peu oublié toute cette époque, mais je suis tombé récemment sur une image de Catherine Deneuve, et là, telle la madeleine de Proust, mes précoces souvenirs financiers ont ressurgi instantanément.
Nous sommes en 1987 et, grande première, une publicité pour acheter des actions d'une société bientôt privatisée passe à la télévision. Suez a choisi Catherine Deneuve qui, en femme d'affaires avisée, nous dit qu'elle va souscrire à l'introduction en Bourse, parce qu'elle croit en cette belle banque de Suez (c'était à l'époque une compagnie financière). J'avais alors 13 ans, et horreur, impossible de devenir actionnaire. Je me souviens avoir harcelé ma mère pour qu'elle ouvre un compte-titres et achète quelques actions (l'effet Catherine). Ce ne fût pas réellement une bonne affaire étant donné les prix de courtage et de droits de garde pratiqués à l'époque, mais j'étais aussi content que si j'avais eu une boîte de Lego pour Noël (tel le jeune capitaliste téléphage insouciant de mon époque).

Mais à ce même moment, je ne me doutais pas que c'était déjà la fin d'une ère. En effet, en cette même année 1987, ce fut également la fermeture de la corbeille à la Bourse de Paris. Pour ceux qui ne s'en souviennent pas, ou qui n'étaient pas encore nés, on ne parlait pas alors de traders mais d'agents de change. Ces derniers se réunissaient autour d'un tas de sable (où ils pouvaient jeter les cendres de leurs cigares !!!) derrière une palissade molletonnée de velours rouge, pour crier leurs ordres d'achats et de ventes.
Comme pour le poisson, la négociation se passait à la criée et étaient réservée aux initiés qui possédaient le vocabulaire et les gestes appropriés et incompréhensibles pour nous pauvres profanes. Bref, c'était beaucoup plus énigmatique et envoûtant qu'aujourd'hui où, pour tout reportage sur les questions boursières, on nous montre inlassablement les mêmes images froides de salles de marché avec 3 écrans d'ordinateurs au m² qui clignotent en rouge et vert. Mais bon, vous vous dites que je deviens un peu trop nostalgique.
A vrai dire, je ne suis pas du genre à idéaliser le passé. Néanmoins, j'ai regardé la semaine dernière un reportage sur France 5 intitulé "Traders, les maîtres de la bourse". Loin de mes souvenirs de golden boys de la fin des années 80 (même s'il y en a encore certains), ce reportage présentaient plusieurs portraits de traders d'aujourd'hui. Quelques-uns s'en sortaient pas mal financièrement (rien d'extraordinaire pour autant), mais ce n'était pas le plus important. Ce qui ressortait, c'était avant tout le stress, la solitude, les doutes vis-à-vis du marché qui ronge incessamment l'esprit.
Je fus surtout marqué par ce jeune Français exilé à Londres (toujours présentée comme l'eldorado ultime du trader européen) et qui travaillait pour une société de courtage. Toute la journée, il se faisait traiter plus ou moins comme un chien au téléphone par ses clients, disposait seulement de 5 minutes pour aller s'acheter un sandwich club au Marks & Spencer local, travaillait comme un fou et tout cela pour... 2 500 euros par mois ! Autant dire qu'il était contraint de vivre en collocation dans une banlieue très éloignée de la City. Comment alors voulez-vous faire rêver qui que ce soit ? Catherine reviens ! Non, c'est sûr, la Bourse : c'était mieux avant...
E.B. // Moneyzine