mercredi 25 juin 2008

J'emprunte donc je suis ... moins riche

Il semble assez incongru d’employer pour cet article un titre qui semble relever à la fois de Descartes et de la lapalissade. Néanmoins, il reflète assez bien les stéréotypes liés à l’utilisation de l’endettement dans notre société de consommation.

On peut tout d’abord observer que cette affirmation peut s’avérer fausse ou du moins incomplète. Je peux certes être moins riche en empruntant aujourd’hui, mais c’est peut-être pour être plus riche demain.

L’emprunt a tout d’abord une utilité économique : il est l’un des moteurs de création de richesse. Il serait aberrant d’éviter d’investir dans une entreprise sous prétexte qu’elle est endettée. Si l’emprunt est utilisé pour des investissements susceptibles de rapporter à l’avenir davantage que le coût du crédit, il est du devoir même des entreprises de prendre de tels risques sous peine de compromettre leur futur développement.

C’est un peu la même chose pour les particuliers. Quand j’emprunte pour investir dans un capital susceptible de me rapporter davantage à terme que le coût global de mon crédit, l’endettement ne semble pas stupide. Attention cependant, à terme ne veut pas dire « quand je serai mort » : il faut que je puisse bénéficier moi-même de l’avantage de cet endettement.

Le cas typique est l’immobilier : malgré la hausse vertigineuse des prix puis des taux d’intérêts, on a pu observer une course à l’achat sous prétexte qu’il s’agissait d’un investissement. Cependant certains particuliers ont oublié de prendre leur calculatrice et se sont lancés dans des acquisitions qui ne deviendront rentables qu’après leur mort (et encore si les prix de l’immobilier restent collés à l’inflation, ce qui semble être de plus en plus incertain dans les années à venir).

Qu’en est-il des autres emprunts ? Ceux qui vous rendent plus pauvres aujourd’hui comme demain, qu’il s’agisse d’acheter une voiture, des meubles, des appareils électroniques, des vêtements… bref des biens qui vous apportent une satisfaction présente mais qui ne vous rapporteront rien à l’avenir. En effet, la consommation est un savant mélange de plaisir et d’utilité : vous achetez quelque chose parce que vous en avez envie et/ou besoin. Vous avez une certaine dose de plaisir à faire les magasins, à acquérir un bien, à en profiter. Malheureusement ce bien se dégrade peu à peu, devient démodé, bref il perd de sa valeur et vous êtes obligé à terme de le remplacer. Pourquoi donc emprunter pour perdre de l’argent ? Il s’agit en effet de payer un service (avoir de l’argent aujourd’hui) pour payer un bien qui ne vaudra plus rien demain (même si vous devrez continuer à rembourser cet objet vidé de sa valeur ainsi que votre désir de l’avoir acheté alors que vous n’aviez pas les moyens : les intérêts).

Présentée de cette manière, la logique de l’endettement semble légèrement absurde. Pourtant les sociétés de crédit communiquent plus que jamais (en offrant parfois des TEG annuels supérieurs à 20% !). Aux Etats-Unis, être endetté est devenu une nécessité, un véritable style de vie voire le véritable « American way of life ». Ainsi, je suis très surpris à chaque fois que je discute avec des Américains, dont certains sont pourtant très éduqués, d’apprendre qu’ils possèdent 3 ou 4 cartes de crédit différentes et les utilisent régulièrement. Attention, une carte de crédit aux Etats-Unis n’a pas la même signification qu’en Europe où on utilise ce terme pour désigner ce qui est pour eux une carte de débit (mon compte est débité d’autant quand je paye). En réalité, quand on paye avec une carte de crédit, le montant vient alimenter ma dette que l’émetteur de la carte met à ma disposition en échange d’un certain taux d’intérêt.

Certes, certains Américains trouvent ça un peu bête, mais ils vous disent qu’ils n’ont pas vraiment le choix, qu’ils seraient vraiment pénalisés dans leur vie s’ils n’avaient pas ce moyen à leur disposition. En réalité, l’endettement est devenu un élément intrinsèque du fonctionnement de l’économie américaine qui ne peut pas se permettre de faire machine arrière. Il faut continuer à avancer sous peine d’entrer en récession, peu importe si chaque Américain doit en moyenne plus de 150.000 dollars en terme de dette extérieure.

L’endettement est même devenu un facteur identitaire (d’où la référence cartésienne dans le titre de cet article) : chaque Américain disposant d’une note de crédit liée à son numéro de Sécurité sociale. Votre comportement de consommateur est finement analysé à travers votre historique d’endettement centralisé par 4 agences (un Big Brother quadricéphale qui vous fait en plus payer pour connaître votre note : un exemple ici). Tout est épluché, les encours de la dette, les retards de paiement, l’estimation de votre patrimoine… Si votre note est bonne, vous avez le droit de vous endettez plus, si elle est mauvaise, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous prêter mais à des taux supérieurs (ce qui s’avère aussi efficace de vouloir désintoxiquer un junkie en lui donnant une dose aujourd’hui tout en le mettant en garde qu’elle lui coûtera beaucoup plus cher demain).

Il semble difficile de conclure autrement que par un constat d’incrédulité. Que se passera-t-il quand cette course en avant finira par trouver ses limites ? La crise des subprimes semble être un premier avertissement. Certains créanciers ont voulu étendre leur aire de clientèle en offrant aux plus pauvres (ceux qu’ils appellent les Ninjas : No income, no job, no assets) la possibilité de devenir encore moins riches, et ils se sont ensuite étonnés qu’il y ait quelques dysfonctionnements. Alors qu’une grande part de l’économie mondiale semble dépendre de cette surconsommation américaine, que faire sinon jouer les Cassandres en prédisant un futur désastre ? Le Président Bush Sr l’avait bien annoncé en 1992 à la Conférence de Rio en affirmant : « Le mode de vie des Américains n’est pas négociable ». Certes ! mais est-il solvable ?

E.B. // Moneyzine

jeudi 5 juin 2008

Jouons avec les courbes

En tant que fervent lecteur de presse économique et financière, je m'amuse beaucoup à comparer les différentes analyses parsemant les multiples publications du genre.

Pour résumer, deux grandes thèses s'affrontent aujourd'hui :

- Pour les uns, tout est rentré dans l'ordre, la crise est finie. Elle a atteint son paroxysme avec le sauvetage de Bear Stearns. Maintenant les nouvelles sont plutôt rassurantes et même s'il elles ne le sont pas, elles sont "intégrées dans le cours" comme aiment dire les optimistes (les bullish : ceux qui jouent la hausse). La baisse de la consommation, l'inflation galopante, le ralentissement de la croissance, la pression sur les matières premières, l'explosion de la dette américaine, l'effondrement du dollar... dans le cours, on vous dit !

- Pour les autres, vous n'avez encore rien vu, et vous pouvez accrocher vos ceintures. Le regain d'optimisme actuel n'est qu'une illusion, un simple rebond dans un mouvement de décrochage à moyen terme. Pour ces pessimistes (les bearish : ceux qui jouent à la baisse), toutes les conditions sont réunies pour envisager un net ralentissement de l'économie mondiale. Ce n'est qu'un juste retour des choses, il va falloir maintenant payer le prix des années fastes de la mondialisation, de l'endettement opportuniste des Etats-Unis (voir page 32 de ce rapport officiel de 2005 du US Government Accountability Office et qui parle déjà de 46 trillions de $ de dettes, soit 156 000 $ par Américain !) et du manque d'anticipation vis-à-vis du problème énergétique.

Même en confrontant les analyses, ces deux thèses paraissent effectivement se valoir. Les arguments sont solides, les chiffres avancés impressionnants et les graphiques publiés très parlants.

Néanmoins, étant géographe de formation, on m'a toujours répéter sans cesse qu'il fallait toujours critiquer les documents qu'on nous mettait sous les yeux. Les cartes d'abord dont on pouvait faire dire tout et son contraire, et les chiffres qui, judicieusement présentés, pouvaient être prétexte aux interprétations les plus farfelues.

Prenons l'exemple des graphiques montrant l'évolution de l'indice CAC 40 qui vient souvent illustrer les propos de nos analystes.

Exemple n°1 (soyons positifs)
On voit bien que le 1er trimestre 2008 a été dur, mais que l'indice se redresse nettement depuis début avril, en rebondissant régulièrement sur sa moyenne mobile 50 (courbe en bleu) qui sert de support et qui a tendance à remonter, ce qui laisserait préfigurer une remise en route progressive de la dynamique haussière.


Exemple n°2 (soyons dubitatifs)
On remarque nettement que la belle mécanique haussière a été cassée au début de l'année 2008, mais que l'indice tend à résister dans une phase de consolidation incertaine qui laisse envisager aussi bien une reprise du mouvement haussier (simple pause) qu'un renversement de tendance lourd (amorce d'une chute plus sévère).


Exemple n°3 (soyons déprimants)
Dans un beau jeu de montagnes russes, le décrochage du début de l'année semble n'être que les prémices d'une grande dégringolade boursière qui nous amènerait l'indice vers les 3000-3500 points, c'est-à-dire pour parler franchement vers un krach. Attendez vous alors à perdre de l'ordre de 40% sur le cours actuel de vos actions.


Bref, les graphiques boursiers nous permettent de nous rassurer et d'aller dans notre sens. Ils nous rassurent et donnent une garantie, une viabilité à nos scénarios de hausse ou de baisse.

Maintenant voici une question subsidiaire : à votre avis, quelles aurait été votre analyse en avril 1930 (en rouge sur le graphique) quand l'indice Dow Jones regagnait quasiment 50% des pertes subies à la fin de l'année 1929 ? Vous connaissez mon avis...


E.B. // Moneyzine