mercredi 28 janvier 2009

En quête de réalité (reynd en islandais)

Les Islandais ont tout perdu. Riches comme pauvres, ils ont fichu leur gouvernement dehors et ils ne leur restent plus maintenant qu'à se soûler dans les bars en attendant la fin de l'hiver (très long et sombre dans ce pays) et l'arrivée de jours meilleurs. Pourtant, certains ont essayer d'y échapper en tentant de transformer leur tas de couronnes (la monnaie locale) en "actifs réels" : le seul fournisseur de Rolex a été pris d'assaut afin de sauver ce qui pouvait encore l'être.

Ne nous moquons pas, car un tel scénario pourrait nous concerner d'ici quelques années si la seule réponse apportée à la crise actuelle consiste en un surendettement de nos gouvernements. Déjà, le Royaume-Uni frissonne (un courant froid venu d'Islande ?). Les Pigs et l'Irlande voient leur note de crédit se dégrader, en attendant une possible chute de l'euro...

Ainsi, non par pure anticipation, mais surtout par méfiance, interrogeons-nous sur quelques-uns de ces "actifs réels" que l'on peut déjà acquérir pour éviter de faire la queue chez son joaillier le jour venu.

- Les métaux précieux : valeur refuge assez classique. Vous pouvez privilégiés ceux utilisés à des fins industriels (Palladium, Argent, Platine...) mais leur cours restent assez dépendants de la demande mondiale, ce qui reste dangereux en cas de gros ralentissement. Personnellement, je préfère l'or qui n'a d'autre usage que la thésaurisation. Sa valeur étant purement mentale, il risque de révéler tout son potentiel en cas de crise majeure. Les pièces cotées sont sans doute plus facile à revendre que les bijoux, mais bien sûr vous avez aussi les lingots. Comme on n'est jamais trop prudent, en cas de grosses sommes, préférez un stockage dans un pays neutre et/ou peu endetté. Évitez si possible de tout stocker dans un coffre de votre banque, car vous serez alors bien malin en cas de faillite généralisée du système bancaire.

- Les objets de collection : monnaies rares, montres suisses, bijoux, antiquités, tableaux de maîtres... il y en a pour tous les budgets. Ces objets ont l'avantage de faire l'objet d'une côte relativement stable. Attention cependant aux effets de mode et à la formation de bulles (notamment pour certains artistes). Ainsi, il s'agit sans doute d'un placement plus risqué que le premier, mais vous pouvez jouir au quotidien des biens acquis, ce qui apporte une sorte plus-value mentale. Bref, dans le cadre d'une diversification de vos actifs, faites-vous plaisir si vous le pouvez.

- L'immobilier : vous vous dites que je suis fou de parler de ce marché dans un contexte d'éclatement de bulle comme nous le vivons. Et bien, il y a peut-être quelques miettes à ramasser. Certes, cela paraît encore un peu précipité. A moins que vous soyez un négociateur féroce capable de casser les prix, il vous faudra encore attendre quelques années. S'il faut éviter, les marchés qui sont clairement tombés à cause d'une surproduction (Espagne), un bien immobilier représente l'avantage d'être bien réel quand il est acquis à son juste prix, surtout dans l'optique de l'habiter soi-même. Ne pas être mis dehors ou ne plus pouvoir payer un loyer devenu indécent, voilà des problématiques bien réelles. A défaut de vous rapporter de l'argent, cet investissement vous apportera au moins un toit. Si vous empruntez, attendez que la baisse des taux soit répercutées par les banques. Avec un peu de chance, en signant un taux fixe, vous bénéficierez d'un probable retour de l'inflation (nécessaire à terme pour alléger le surendettement des Etats) qui diminuera le coût des intérêts.

- Le reste : vous pouvez oublier les actions, les obligations, les devises étrangères, les certificats sur matières premières (en effet, le blé ou le riz vont certainement monter, mais il n'est pas très pratique d'en acquérir physiquement). Tout ceci n'est que virtuel et condamné à s'évaporer en cas de gros traumatisme. Si vous ne me croyez pas, parlez-en aux Islandais !

E.B. // Moneyzine

mercredi 21 janvier 2009

Le côté positif de la dette

Certains de mes lecteurs s'inquiètent pour moi. Ils trouvent mes derniers articles particulièrement négatifs, voire déprimants. Sans doute ont-ils raison, et suis-je gagné par une sorte de dépression hivernale que j'espère courte. Mais, au-delà de ce rapide diagnostic, je tiens à les rassurer sur ma santé mentale. Certes, je fais actuellement partie de ceux qui voient le verre à moitié voire aux trois-quarts vide, mais afficher un optimisme de façade me paraît plutôt tenir de la charlatanerie économique dans ce contexte tourmenté. Les mêmes analystes qui n'avaient rien vu venir, sont à peu près les mêmes qui voient aujourd'hui l'avenir auréolé de rose (entre les deux, ils en ont également souvent profité pour vendre des livres très avertis sur leur vision de la crise).

Pour ne pas trop sombrer dans de noires visions, je vais m'efforcer dans les prochains mois d'adopter une attitude plus positive, histoire de me débarrasser des araignées qui commencent à s'agglutiner au plafond de Moneyzine.

Mes derniers diagnostics inquiétants avaient comme argumentation principale la démesure qu'avait tendance à prendre l'endettement dans le but de relancer la machine économique. Certains m'ont fait remarquer, à raison, que ma vision était un peu trop dogmatique à ce sujet, bref que j'oubliais de mentionner le côté positif de la dette.

Pour leur rendre justice, et pour équilibrer mon propos, j'admets ainsi la très grande fonction économique de l'endettement, qui permet de se libérer du présent, d'envisager un avenir différent, et peut-être meilleur. Affirmons-le : "Sans dette, pas de progrès !". Que ce soit pour devenir propriétaire, assurer le besoin en fonds de roulement d'une entreprise, augmenter la rentabilité financière d'une société (effet de levier), permettre à un pays des transformations structurelles, bref pour assurer le développement économique... la dette est vitale.

Soit ! Mais à vrai dire, je n'ai jamais totalement renié cette évidence. Ce que je m'efforçais de dénoncer était plutôt le recours systématique et massif à un endettement global devenu endémique dans un système mondialisé. Qu'il soit privé ou public, cet endettement massif compromet à mon avis des mutations mondiales nécessaires. En maintenant artificiellement en vie à coup de déficits abyssaux leur hégémonie économique, certains pays continuent à vivre leur rêve, mais compromettent sérieusement l'avenir des autres. Bref, à force de se projeter brutalement dans l'avenir, on finit par le détruire !

Prenons l'exmple classique d'une personne surendettée. Au début tout va bien. Elle profite, accumule les crédits mais vit dans la profusion. Certes, il y a bien un sentiment de malaise qui monte mais elle remet ça à plus tard (la génération suivante ?). Puis, au bout d'un moment la machine se grippe, les créanciers ne sont plus aussi généreux et certains même commencent à exiger d'être régulièrement remboursés. Le piège se referme : non seulement cet ancien consommateur heureux ne peut plus rien acheter (se projeter dans l'avenir), mais il ne profite même plus du présent tellement sa situation devient difficilement supportable.

Si cette histoire ressemble donc étrangement à une version contemporaine de La Cigale et La Fourmi, ce n'est pas pour vanter l'épargne, ni pour condamner la dette, ni même pour être négatif mais simplement pour rappeler que toute satisfaction facile et immédiate entraîne irrémédiablement un certain sacrifice pour l'avenir. C'est que ce que Jean de La Fontaine appelait une morale. Mais suis-je bête, j'oubliais que l'économie (ou le capitalisme) était étrangère à toute morale (on me le répète pourtant assez souvent). Dans ce cas, je suis rassuré, inutile de s'efforcer à être positif, s'il ne peut finalement rien y avoir de mauvais dans l'économie.

E.B. // Moneyzine

lundi 19 janvier 2009

De la dette comme seule perspective politique

Les gouvernements semblent avoir trouvé l'arme fatale pour mettre fin à la crise : les fameux plans de relance. En résumé, il faut substituer aux mécanismes de production et de consommation privés en panne une dépense publique "boostée" aux déficits. La nouvelle amérique "obamienne" va ainsi assumer des déficits budgétaires annuels qui seront tous supérieurs au trillion de dollar (soit des chiffres à 12 zéros). En Europe, la barrière symbolique "maastrichtienne" des 3% de déficit public annuel a explosé dès les premières secousses financières. Il est maintenant de bon ton de laisser filer son déficit à 4, 5 ou 6% de son PIB sous peine de se faire avoir par ses anciens partenaires/concurrents européens dans le tragique jeu de la relance.

Si ces actions, toutes plus ou moins désespérées, risquent d'apaiser la douleur pendant quelques mois, voire quelques années, elles ne règlent finalement rien au problème. Il s'agit simplement d'une fuite en avant, d'un dernier baroud d'honneur désespéré pour tenter de sauver un capitalisme bien malade que les gouvernements ne font en fait que condamner par acharnement thérapeutique. Ce système économique n'a pas su se renouveler, inventer des voitures propres, innover dans la recherche énergétique, il a été incapable d'anticiper sa perte car aveuglé par la recherche d'une rentabilité immédiate. Ce capitalisme attend en effet la catastrophe pour réagir, non pas en se transformant, mais en quémandant auprès de l'Etat, c'est-à-dire en sollicitant la collectivité qu'il n'accepte ordinairement que comme une masse consommatrice sur laquelle cultiver les bénéfices.

Seulement à force de se faire plumer, cette masse se retrouve à bout. Elle s'endette mais rien n'y fait. Ainsi, c'est maintenant aux budgets publics de prendre le relais en gageant d'hypothétiques rentrées fiscales dues par une population qui n'a pas d'autres alternatives que d'y croire.

Il est très effrayant de penser que tout cela ne mène à rien. Les Etats grillent leur dernière cartouche. Si cela ne marche pas, il faudra alors en venir aux balles réelles d'ici quelques années, car l'impuissance politique sera alors totale.

Mais Obama, Brown, Sarkozy, Merkel... ont-ils vraiment le choix ? J'espère pour eux qu'ils y croient un minimum sous peine de sombrer dans un cynisme morbide. L'action est le prix du pouvoir, même si elle se fait aux dépens de tous, que ce soit en dictature ou en démocratie. Il est impossible pour un homme politique d'expliquer qu'il ne peut rien faire, de se distinguer, d'innover puisque sa marge de manoeuvre se résume à agir là où il est attendu. Un psychopathe tue un enfant, il faut prendre des mesures... Un aéroport est bloqué par la neige, que fait le gouvernement... Le système financier mondial s'écroule, renflouons-le pour éviter qu'on vienne nous le reprocher.

Dans cette logique, la gestion de la chose publique ne peut mener qu'à une sorte d'irresponsabilité générale et à un endettement perpétuel sans avenir. L'homme politique devient alors un professionnel électoral destiné à une seule chose : agir en réagissant perpétuellement aux événements et surtout en dépensant des ressources inexistantes, mais néanmoins indispensables à sa réélection. Sa légitimation en tant que sauveur du court-terme en dépend, mais elle masque insidieusement son autre visage, celui de fossoyeur du long-terme. L'action politique en ces temps de crise : une belle illusion devenant la matrice de toutes les futures désillusions.

E.B. // Moneyzine

jeudi 8 janvier 2009

Sortir de la crise, mais pour aller où ?

C’est la crise, enfin on serait en droit d’en douter tellement les médias font tout pour nous redonner le moral : Pas vraiment une vraie récession, pas vraiment de risque de faillite, non vraiment pas grand-chose…

Qu’a-t-on mis en œuvre pour faire disparaître les peurs aussi rapidement (du moins d’ici mi-2009) ? Des plans de relance, de l’injection de liquidités, de l’argent gratuit, bref tout pour que « le show se poursuive », que les économies occidentales continuent à consommer et à spéculer, comme elles le faisaient avant de se faire très peur il y a quelques mois (quand les épargnants ont commencé à douter des banques, les gouvernements assurant alors la garantie des dépôts, comme si les Etats déjà surendettés pouvait garantir quoi que ce soit en cas de retrait massif des liquidités).

Mais tout ceci n’est pas logique, du moins pas très viable à terme. Loin d’être un anticapitaliste, je me souviens que, déjà très jeune, je doutais de la capacité de ce système à générer de la richesse éternellement. En cours d’économie, j’apprenais alors les principes du fordisme dans lequel l’ouvrier (le producteur) est censé disposer d’un pouvoir d’achat lui permettant d’être consommateur de sa propre production. Un peu comme un chat s’amuse à poursuivre sa queue, l’accumulation de richesses dans un système capitaliste est alimentée par une logique « auto-alimentatrice » supposée sans fin.

Le problème est qu’aujourd’hui l’individu consomme de moins en moins ce qu’il produit. Il préfère acheter à faible prix des marchandises fabriquées dans d’autres pays et distribuées à bas coût par ses propres compatriotes. Seulement, n’ayant plus d’argent par le biais de sa propre production, il doit en obtenir par d’autres voies.

C’est là qu’interviennent les fonctions tertiaires : il ne lui reste plus qu’à vendre ses services à d’autres personnes ou à des entreprises qui les factureront très cher à d’autres personnes. Se développe alors tout un système intermédiaire lié à la finance, au droit, à la recherche, au commerce… qui cherche également à s’autoalimenter pour générer sa propre croissance.

La consommation peut donc continuer grâce à cette nouvelle dynamique. Néanmoins, le consommateur cherchant à acheter moins cher, il met alors la pression sur ce monde des services, en oubliant parfois que c’est de ce nouveau secteur qu’il tire l’essentiel de ses revenus.

Il y a en effet un autre souci : notre consommateur est également devenu un investisseur. Il a acheté des actions de toutes ces grandes sociétés et entend bien en retirer un confortable dividende. Or, tout ce qu’il obtient par ce biais (les revenus du capital), lui est en quelque sorte soustrait de ses revenus du travail, ou du travail de son voisin, ou de celui de la caissière du supermarché du coin, bref de sa communauté.

S’il est égoïste, il ne pensera qu’à son intérêt et verra alors cela comme une redistribution. Sauf qu’en réalité, il a seulement l’illusion d’être un investisseur (avec sa poignée actions), alors qu’il est simplement un acteur microscopique du marché, et surtout qu’il reste avant tout un être dépendant de son travail.

La véritable distribution ne s’effectue en réalité qu’au bénéfice d’une toute petite minorité, possédant des milliers d’actions. Ainsi, à force de se prendre lui-même pour un gestionnaire financier (alors qu’il n’est qu’un petit capitaliste virtuel), l’individu d’aujourd’hui oublie qu’en mettant la pression sur ses concitoyens (c’est-à-dire en privilégiant ses intérêts de consommateur et d’investisseur), il ne fait que se tirer une balle dans le pied puisque ses revenus proviennent en majorité des fruits de son travail (il tend alors à minimiser son intérêt de travailleur), et que son bonheur provient en grande partie du bien-être de sa communauté (il occulte son intérêt collectif car son intérêt individuel lui paraît immédiatement plus gratifiant).

Ainsi, cette logique économique serait destinée à sombrer prochainement car elle aurait comme conséquence logique un appauvrissement généralisé de la masse des individus, une destruction des communautés et un écroulement du système économique suite à l’effondrement ultime de la consommation.

Or, c’est oublier un peu vite l’arme absolue de nos économies occidentales : le crédit. Emprunter, que ce soit pour un individu ou pour un Etat, permet à ce système de survivre. Le consommateur maintient son niveau de vie (en dépensant l’argent qu’il n’a pas), les gouvernements maintiennent l’illusion d’une prospérité croissante à l’infini.

Il est alors assez facile pour nos économies occidentales de sortir de la crise, de se maintenir artificiellement au-dessus du lot : il suffit de continuer à contrôler les circuits monétaires et à s’endetter plus que de raison. Notre impression d’être légitimement riche est donc aisément maintenue (par un refoulement de notre passif ?), alors que ce sentiment est en grande partie basé sur une tragique injustice mondiale, c’est-à-dire le refus d’un rééquilibrage des richesses au niveau mondial qui induirait une chose inimaginable et surtout politique intenable pour nos économies occidentales : accepter l’idée de notre propre déclin.

Nous ne produisons quasiment plus rien, à part quelques services de plus en plus virtuels alimentés par le propre reflet de notre consommation (qui représenterait 70 % de la richesse aux Etats-Unis). Nous mettons la pression sur les producteurs et les fournisseurs pour toujours bénéficier des prix les plus bas sans se rendre compte que c’est notre propre production que nous sacrifions, que ce sont nos enfants que nous condamnons à un salaire minimal toute leur vie.

L’idée merveilleuse qui voudrait que tout aille toujours mieux meurt à petit feu. Ce n’est pas en éditant de l’argent sans fin, ni en maintenant en surchauffe l’endettement des Etats et des ménages qu’on se construit un avenir. La vérité est que nous sommes beaucoup plus riches que nous devrions l’être au détriment d’une autre partie du monde, qui commence à se rendre compte qu’elle est spoliée depuis bien trop longtemps.

La crise que nous vivons va s’en doute s’estomper prochainement. Mais d’une certaine manière une ambiance de crise risque de s’installer durablement dans notre quotidien économique. Le monde est dans un équilibre instable et la fuite en avant des acteurs économiques est obligatoire s’ils ne veulent pas que tout s’écroule. Les crises représentent seulement l’un des symptômes du déséquilibre, mais elles vont être amenées à se multiplier, à durer et à se durcir, car le point de rupture est proche.

La crise actuelle ? Une rigolade : on injecte quelques trillions de dollars et tout est réglé. Les médias se lasseront vite et la société aussi (sous peine d’une dépression généralisée).

On peut sans peine imaginer que se voiler la face ne fera que préparer le terrain pour quelque chose de plus terrible, d’inimaginable, qui nous dépasse complètement. Sommes-nous en train de creuser la tombe de notre système économique, de nos croyances et de nos espérances ? Que restera-t-il pour nous sauver ? La foi ? La raison ? La haine ? Peu importe, tels des enfants doués d’une éternelle candeur, nous préférons croire au Père Noël, et continuons à jouer avec des choses que nous ne méritons pas. Reste à savoir quel sera leur véritable prix quand le destin nous présentera l’addition.

E.B. // Moneyzine