lundi 21 juillet 2008

Donnez moi un point d’appui et un levier

Tout le monde connaît cette phrase qu’aurait prononcée Archimède pour illustrer ses découvertes à propos du principe du levier. Celle-ci se termine par « et je soulèverai la Terre », ce qui marque assurément les esprits.

Certainement impressionnés par l’évocation de cette toute puissance, les financiers ont eux-aussi voulu disposer d’un tel principe et ont inventé leur propre effet de levier. Il ne s’agit plus alors d’une antique loi de mécanique, mais seulement d’une banale histoire de profit : pour gagner plus, il faut investir plus. Jusque là, rien de très novateur.

Où le levier intervient, c’est quand l’investisseur se dit que pour gagner encore plus, il faut qu’il investisse beaucoup plus, y compris de l’argent qu’il ne possède pas. Ainsi, on appelle tout simplement effet de levier, le fait d’emprunter de l’argent pour investir plus qu’on ne possède dans l’espoir de générer des gains supérieurs à ce qu’on aurait pu espérer avoir avec ses propres fonds.

Aujourd’hui, n’importe quel petit investisseur particulier a accès à cette possibilité. Il suffit d’ouvrir un compte-titre chez un courtier sur Internet et celui-ci met instantanément à votre disposition une couverture. Il ne s’agit pas de se protéger du froid, mais de vous offrir la possibilité d’engager des sommes que vous ne possédez pas sur les marchés, jusqu’à un certain point (dans la limite de la couverture).

Prenons un exemple : Vous disposez d’environ 1000 euros sur votre compte-titre et vous êtes absolument persuadé qu’une certaine action va monter rapidement. Celle-ci cote à 100 euros, vous en achetez donc 10. Admettons que cette action prennent 10% : vous revendez et vous avez gagné 100 euros. Ce n’est pas mal, mais complètement nul par rapport à ce que l’effet de levier aurait pu vous rapporter. Avec une couverture de 10.000 euros, vous auriez pu acheter 100 actions et ainsi gagner 1000 euros (avec seulement 1000 euros sur votre compte) soit une plus-value de 100% sur un seul coup. C’est beaucoup mieux.

Bien sûr, on peut aussi se prendre le levier dans la figure. Vous utilisez votre couverture et finalement votre action perd 10% : vous venez de perdre tout votre capital sur un seul coup. Pas mal !

Tout est question de prise de risque. Si vous gérez vous-même votre portefeuille, vous allez avoir tendance à être un minimum raisonnable, et encore… Avec la multiplication des produits financiers, n’importe quel particulier peut aujourd’hui utiliser ces leviers que ce soit simplement avec le SRD ou de manière plus compliquée avec les options, warrants ou autres CFD… bref toute une kyrielle d’investissements utilisant des effets de levier auparavant réservés à des utilisateurs avertis.

A ce sujet, j’ai récemment assisté à une conférence sur les warrants organisée par une grande banque allemande d’investissements. Je fus vraiment très surpris de n’y rencontrer quasiment que des personnes retraitées. La plupart connaissait les principaux fondamentaux boursiers, mais ma surprise ne fit que croître pendant que j’écoutais le conférencier conseiller à ces personnes raisonnables (qui à mon avis avaient mis un certain temps à constituer leur capital) d’investir massivement dans les warrants. Certes l’exposé était talentueux, les chiffres impressionnants, le diaporama projeté impeccable et les plaquettes distribuées vraiment brillantes, mais en discutant ensuite avec certaines des personnes présentes, je me rendis compte qu’elle n’avait pas compris grand-chose. Néanmoins elles étaient prêtes à s’y mettre, et quand je leur rappelais qu’elles risquaient de perdre tout le capital engagé dans ce genre de produit, j’avais l’impression d’être moi-même le vieux rabat-joie qui venait briser leurs espoirs.

Cependant, le problème avec les leviers n’est pas de savoir s’il est moral que des gens inexpérimentés l’utilisent, c’est plutôt de savoir jusqu’à quel point les personnes expérimentées peuvent l’utiliser sans risquer de faire tomber la Terre imaginairement soulevée par Archimède.

Quand une personne ne gère pas son propre argent et que son seul signe de réussite réside dans le pourcentage de profit qu’il réalise dans l’année, il est légitime qu’elle soit tentée par l’utilisation abusive du levier. Seulement, souvenons-nous d’Archimède qui nous rappelle qu’il faut également disposer d’un bon point d’appui. En finance, rien de plus facile : il suffit de s’appuyer sur une banque qui va elle-même s’octroyer des prêts pour tenter de gagner plus d’argent.

Où est le problème ? il y a des perdants et des gagnants, c’est une forme de spéculation comme une autre. Seulement, comme le principe du levier tend à se généraliser, le risque tend à se banaliser ce qui conduit forcément à quelques incidents de parcours. En effet, c’est quand la catastrophe arrive qu’on se met alors à médiatiser cet effet de levier et à le dénoncer.

La première dont j’ai entendu parlé fut celle de LTCM. Il s’agissait d’un hedge fund créé en 1994, et tout à fait sérieux car deux Prix Nobel d’économie en étaient associés. A l’époque, le contexte est porteur, les affaires tournent bien : d’environ 1 milliards de dollars à son lancement, le capital de LTCM frôle les 5 milliards en 1997. Seulement, la crise asiatique arrive et surtout la crise financière russe qui va à l’encontre des modèles mathématiques mis au point par les petits génies du fond. Bien sûr la faillite arrive, mais ce n’est pas le plus important. La véritable catastrophe est quand on se rend compte que ce seul fond a pris pour plus d’un trillion de dollars de positions sur les marchés (plus de 1000 milliards de dollars, soit 200 fois plus d’argent qu’il ne possédait réellement). Le système bancaire chancèle, on met en place un plan d’urgence et tout le monde trouve ça inimaginable. Décidément l’effet de levier, c’est beaucoup trop dangereux, on va faire attention.

Que fait-on dix ans après ? Des banques incitent les retraités à risquer leur capital sur intuitions tout en enjolivant les risques ; un président de banque paraît vraiment étonné quand les médias parlent d’un certain Jérôme qui a pris, à lui tout seul, des positions équivalentes à plus de trois fois les fonds propres de cette même banque. Bref, cette pratique ne s’est pas vraiment assainie, d’autant plus que ne ressortent à la surface que les incidents trop énormes pour pouvoir être facilement passés sous silence.

Dans le contexte de crise financière actuelle, la paranoïa guette le monde des affaires. Plus personne ne semble absolument sûr de rien. Les décideurs politiques parlent de dérives, de marchés financiers devenus incontrôlables qui menacent l’équilibre économique de la planète. Bref, il veulent introduire de la régulation, ce qui est normal étant donné que c’est leur travail. Mais comment fixe-t-on les limites ? Faut-il interdire toute pratique de l’effet de levier ? Tout emprunt à but spéculatif ? Seulement, n’oublions pas que tout investissement a par essence une finalité spéculative. Dans ce cas, toute régulation risquent d’impacter l’économie mondiale de manière très incertaine.

On le voit, il n’y a pas de solution simple et immédiate. Sauf qu’Archimède n’a jamais voulu soulever le monde, il s’est juste contenté de ce qui était à sa portée pour démontrer sa théorie. Tout le reste, n’est que le fruit d’expérimentations douteuses nées d’individus voulant profiter des lois de la physiques en les testant jusqu’à l’extrême. C’est valorisant quand on découvre l’énergie nucléaire, c’est plus inquiétant quand on commence à en faire des bombes qui menacent l’humanité.

E.B. // Moneyzine

jeudi 10 juillet 2008

Souviens-toi... l'été dernier

Pour ceux qui ne seraient pas spécialistes en teenage movies américains, « Souviens-toi… l’été dernier » est un film censé faire peur (dans la lignée des Screams) où des adolescents renversent un homme en voiture lors d’un retour de soirée. Ils se débarrassent du corps dans la mer et établissent une sorte de pacte où chacun jure de ne rien révéler. Seulement, l’été suivant (un an après), ces jeunes étudiants commencent à recevoir des lettres de menace puis commencent à se faire tuer par l’homme qu’ils avaient renversé, ressuscité en marin avec un crochet en guise de main…

Si je vous parle de ce film, ce n’est pas pour vous conseiller d’aller le voir, mais car je m’apprête à vous parler de cet été (je reviendrai plus précisément sur le sujet du film plus tard). La société Goldwasser Exchange possède un forum financier très intéressant sur Facebook et organise régulièrement des concours qui consistent à faire des prévisions sur les marchés. Le thème de juillet/août est « Comment prévoyez-vous l’évolution des bourses pendant l’été ? ».

Avant les vacances, il est en effet propice de faire un point sur cette question, afin de pouvoir partir l’esprit rassuré ou déprimé, mais du moins renseigné, sur ce qui est susceptible de se passer durant l’été. L’objectif de cette prévision n’est pas forcément de pouvoir réagir instantanément à ce qui devrait se passer (pas évident depuis le bord de la piscine), car normalement tout investisseur encore sain d’esprit profite d’une partie de la période estivale pour décrocher un minimum. Non, réfléchir sur ce qui peut théoriquement se passer cet été permet plutôt de gérer cette transition vers l’inaction plus facilement (le contrôle n’est plus physique mais mental : on regarde l’évolution de loin en déclamant « je vous l’avais bien dit » et nous voilà rassurés).

Seulement quand on n’a plus de prise sur le marché, on a forcément tendance à imaginer le pire pour ne pas s’avérer déçu (et pour ne pas s’imaginer qu’on va passer à côté de bonnes affaires en cas d’évolution positive). L’incapacité à agir induit une certaine vision pessimiste du marché. Il n’y a qu’à lire les éditoriaux qui paraissent en ce moment sur le sujet, d’autant plus que le mot « été » se prête à beaucoup d’expressions toutes trouvées : « L’été de tous les dangers », « L’été en pente douce », « L’été meurtrier » ou « Cruel Summer », bref tout nous pousse vers la déprime.

J’en reviens à mon film d’adolescents : l’été dernier, la finance mondiale a elle aussi connu en quelque sorte un accident malencontreux. Je me souviens des titres des journaux (généralistes et non financiers : je vous l’ai dit, on essaye de décrocher en vacances) qui annonçaient une vaste crise financière sur fond d’immobilier aux Etats-Unis. Nous apprenions alors de nouveaux mots : « subprimes », « prêts hypothécaires », « CDO », « titrisation » qui, on s’en doutait alors peu, allaient intégrer notre vocabulaire courant.

En cette saison, difficile néanmoins de s’appesantir sur le sort de propriétaires américains. Certes, beaucoup perdaient leur maison mais c’était les Etats-Unis, on n’allait pas pleurer sur des Américains parce qu’ils avaient fait l’erreur d’acheter une maison alors qu’ils n’en avaient pas moyens. On n’allait pas non plus être attristé par les pertes des banques, tout cela parce qu’elles avaient fait un mauvais calcul de risque. Bref, tout cela nous semblait un peu virtuel, comme évaporé par la chaleur estivale.

Or l’accident avait bien lieu, et en sous-main les jeunes loups de la finance (et même les vieux d’ailleurs) étaient déjà à l’œuvre pour en minimiser les conséquences. Il n’y a pas eu de pacte unique comme dans le film, mais chacun s’est efforcé de cacher une partie de la vérité. Les banques se sont mises à se faire très discrètes sur les « junk bonds » qu’elles détenaient, la FED (Banque centrale des Etats-Unis) s’est voulu très réactive en abaissant rapidement les taux d’intérêts et garantissant le rachat de certains actifs, les agences de notation se sont voulu rassurantes : non, il n’y avait pas eu sous-évaluation du risque…

Contrairement au film où les jeunes étudiants arrivent à passer leur accident sous silence pendant un an, la situation a été moins discrète concernant « l’accroc financier » de l’été 2007. Déjà, plus d’un million d’Américains qui se font expulser de chez eux, c’est difficile à cacher. De plus, les banques un peu partout dans le monde se sont mises à annoncer (certes au compte-goutte pour essayer de rendre ça plus supportable) des dépréciations d’actifs en cascade et des résultats d’exploitation en berne. Certains fonds se sont même mis à faire faillite (Carlyle), voire même des banques elles-mêmes (Bear Stearns finalement sauvée par JPMorgan Chase). Bref, tout ça n’est pas des moins visibles.

Néanmoins, les acteurs financiers ont vite tenté de circonscrire les dommages assez tôt. En effet, malgré la déprime des marchés boursiers depuis le début de l’année (et surtout des valeurs financières dont certaines ont perdu plus de 50 % de leur valeur), les nouvelles se sont vite voulues rassurantes. Des analystes annonçaient dès le mois d’avril la fin de la crise financière : « rentrez chez vous, tout est rentré dans l’ordre ». Certes, les plus gros problèmes sont peut-être derrière-nous (expression très à la mode dans la presse financière et chez les décideurs politiques), pourtant le prix de l’immobilier continue de chuter, on estime que 2 millions d’Américains vont perdre leur maison en 2008, le dollar s’effondre et l’inflation commence à devenir problématique (ce qui menace la consommation).

Puis apparaissent de nouveaux mots avec qui on se familiarisent de plus en plus : « CDS », « Rehausseur de crédit », et on commence à se demander si le pire est vraiment derrière-nous. Comme dans le film, nos jeunes/vieux loups de la finance commencent à recevoir des menaces sous la forme de nouvelles alarmantes qui se traduisent par de brusques secousses sur les marchés boursiers (enfin surtout par une longue descente plus ou moins raide). Les menaces vont-elles s’intensifier (notamment par le biais des résultats semestriels) ? Va-t-il y avoir des morts cet été (quelques petites faillites) ? Bref, est-on condamner à payer pour les folies financières qui sont apparues l’été dernier et que certains ont mis tant de mal à cacher ou à minimiser durant toute l’année. Je ne prédis rien mais je préfère me dire que cela sera le cas. Ainsi, même loin des marchés, je pourrai enfin passer des vacances tranquilles.

E.B. // Moneyzine

vendredi 4 juillet 2008

La plastification des dettes

Suite à mon article « J’emprunte donc je suis … moins riche », un lecteur m’a récemment demandé plus de précisions concernant les dettes contractées par les Américains au moyen de leur cartes de crédit, ainsi qu’une comparaison avec l’Europe. Enfin, il me demandait quand le niveau d’endettement allait devenir problématique (si je traduis en langage bancaire, j’imagine que ça signifie catastrophique).

Tout d’abord, en faisant mes recherches, j’ai été très surpris de trouver aussi peu d’informations sur le sujet. Y aurait-il une sorte de « loi du silence » plus ou moins consentie par les acteurs du crédit individuel ? Ce sont à la rigueur les Etats-Unis qui font preuve de plus de transparence. Même si les données ne sont pas des plus récentes, la FED (banque centrale des Etats-Unis) et les organismes de crédit américains semblent en effet plus enclins à communiquer quelques chiffres :

Commençons donc par les Etats-Unis. La dette privée des consommateurs américains (hors prêts immobiliers) atteindrait 2,46 trillions de dollars en juin 2007 (8.200 dollars par habitant).

Les crédits revolving (cartes de crédit US) représenteraient 904 milliards de dollars, soit 3.013 dollars par habitant mais un peu plus de 5.000 dollars par usager car il faut enlever les personnes qui ne possèdent pas de carte (environ un quart des foyers américains). Mais environ 30% des usagers paient leur solde à la fin du mois sans avoir recours au crédit proposé : Ainsi plus de la moitié des Américains n’utilise pas ou quasiment pas les possibilités de crédit offertes par les cartes en plastique (on est loin des clichés).

En moyenne, chaque consommateur a accès à environ 19.000 dollars via ses cartes de crédit : plus de la moitié d’entre eux utiliserait moins du tiers de cette capacité d’emprunt, mais 1 consommateur sur 7 en utiliserait 80% ou plus.

Chaque ménage américain utilise en moyenne ses cartes de crédit pour un somme correspondant à 5% de ses revenus annuels (pas de quoi faire sauter la banque !)

51% de la population américaine possèdent au moins deux cartes de crédit. 10% en possèdent au moins dix ! (Je vous laisse deviner laquelle de ces deux catégories pose le plus de problèmes…)

En Europe, la situation semble plus confuse à appréhender étant donné l’éclatement des données disponibles. Malheureusement, les chiffres concernant les seules cartes de crédit (au sens américain, c’est-à-dire ce que les Européens appellent crédit revolving) sont indisponibles.

Nous devons donc nous contenter des données concernant la totalité des crédits à la consommation. Pour cela, nous utiliserons principalement une étude réalisée par l’organisme de crédit Sofinco à la fin 2007. On y apprend que les encours de crédit à la consommation pour les 27 pays de l’Unions Européenne s’élèveraient environ 1,8 trillions de dollars (3.600 dollars par habitant soit plus de deux fois moins qu’aux Etats-Unis).

Cependant, cette étude met en lumière de grandes disparités régionales (on se doute bien que les Bulgares ne vont pas consommer comme les Suédois). Sans surprise, la palme de l’endettement revient au Royaume-Uni : 8.350 dollars d’encours par habitant. Dans ce pays, plus de la moitié des ménages ont contracté un prêt à la consommation et on y dénombre 55% des cartes de crédit utilisées en Europe !

Outre la langue, les Britanniques semblent donc partager une certaine tendance à l’endettement avec leurs amis Américains (ratio d’endettement étrangement similaire). En revanche, les habitants les moins endettés se concentrent logiquement dans les ex-pays communistes en reconversion. Mais ces derniers constituent un marché en pleine expansion pour les organismes de crédit. Par exemple, les encours de crédits à la consommation des Roumains ont augmenté de 75% en 2007 ! (La moyenne de l’UE se situant à + 6,7%). L’Europe de l’endettement semble avoir de beaux jours devant elle, et l’écart avec les Etats-Unis semble être en voie de résorption progressive.

La dernière partie de la question de mon lecteur concernait l’avenir : A partir de quand la situation allait devenir problématique ? Là encore, les chiffres sont très confus surtout que les critères de surendettement diffèrent d’un pays à l’autre. Pour les Etats-Unis, nous disposons seulement du chiffre annuel de faillites personnelles prononcées : environ 2 millions tous les ans (soit 7 faillites pour 1000 habitants en 2007). Certes, dans 75% des cas, les personnes en faillite possédaient au moins une carte de crédit, mais leur « dette de plastique » représentait en général moins de 20% de leur problème. Concernant l’Europe, la notion de faillite personnelle n’étant pas reconnue partout, la comparaison est malheureusement impossible. Néanmoins, selon diverses sources, on peut estimer raisonnablement à plus de 20 millions le nombre de ménages surendettés en Europe.

Ainsi, contrairement aux idées reçues et, même si le surendettement représente un drame pour celui qui est confronté, la situation globale concernant les encours de crédit à la consommation semble aux Etats-Unis comme en Europe beaucoup moins dramatique qu’on a tendance à le supposer.

Il est vrai que l’imaginaire collectif a davantage tendance à se focaliser sur des supports concrets : la carte de crédit en est un tout trouvé. Bien souvent, la question de l’endettement reste focalisée sur ce morceau de plastique, alors que le véritable souci semble résider ailleurs : la « plastification des dettes » créant une barrière mentale masquant les véritables enjeux.

Il est en effet bien plus difficile d’imaginer et d’être outragé par les ravages d’un prêt immobilier à taux variable, de l’augmentation des dépenses publiques, du déficit de la balance de paiement d’un pays. Pour ces sujets, nous ne disposons pas d’image forte, si ce n’est à la rigueur celle d’un banquier stressé qui joue à l’apprenti-sorcier derrière son ordinateur. Et pourtant, si l’on ne prend que les Etats-Unis :

Sur 9 trillions de dollars d’encours de crédits immobiliers aux Etats-Unis (7 trillions en Europe), plus d’un trillion est basé sur le principe des subprimes : mécanisme qui a engendré 1,3 millions de procédures de saisie immobilière en 2007 (Au moins, toutes ces pancartes « Public Auction » en raison de ces « foreclosures » ont-elles le méritent de générer des images qui alertent progressivement les esprits).

Mais le principal facteur d’endettement reste beaucoup plus silencieux et dépasse de loin le simple cadre de la consommation privée. Le gouvernement fédéral américain augmente sans cesse les dépenses publiques, or il est beaucoup plus difficile de matérialiser les ravages de la dette à travers le lancement d’un programme gouvernemental très coûteux à l’utilité discutable qu’en accusant les cartes de crédit, ce qui tend d’ailleurs à déresponsabiliser opportunément les décideurs politiques. Le déficit gouvernemental officiel des Etats-Unis s’élèverait ainsi à 9 trillions de dollars (Ne nous moquons pas : plus de 11 trillions pour l’Union Européenne). Mais les autorités américaines ne cachent pas qu’il s’agit là d’un chiffre comptable qui notamment ne prend pas en compte les dépenses abyssales engagées en Irak ou en Afghanistan, les différentes pensions civiles et militaires (qui sont destinées à exploser dans les années à venir avec l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers) ou encore le financement du futur programme de Sécurité Sociale promis par les candidats à l’élection présidentielle et qui s’annonce déjà ultra-déficitaire.

Au total, le gouvernement américain avançait le chiffre de 46 trillions de dollars pour 2005 (On serait plus aujourd’hui plus proche des 50 trillions). Les encours de carte de crédit ne représenteraient donc que moins de 2% de ce total ! Le problème semble donc découler davantage d’une logique macroéconomique créatrices de déséquilibres que du comportement irresponsable de quelques consommateurs. Les décideurs américains dépensent trop, l’économie américaine ne produit pas suffisamment (ou du moins consomme plus qu’elle ne produit), beaucoup d’actifs américains sont survalorisés étant donné la quantité trop abondante de dollars en circulation, ce qui intensifie le phénomène de bulles (d’autant plus sensible quand les taux d’intérêt sont bas). Seulement la macroéconomie : c’est un gaz (comme aurait dit Gilles Deleuze). C’est diffus et insaisissable, impossible d’en tirer une image mentale suffisamment marquante. Alors on se rabat sur le plastique…

D’ailleurs ce n’est pas anodin, si David Walker, ancien Contrôleur Général américain, voulant tirer la sonnette d’alarme concernant l’endettement américain, utilisait récemment cette image : « Nous dépensons plus d'argent que nous en créons. Nous mettons tout cela sur une carte de crédit et on compte sur nos petits-enfants pour payer la note. C'est absolument scandaleux ! » Au moins, contrairement aux Européens, beaucoup plus circonspects sur le sujet, les Américains commencent-ils à admettre progressivement le problème… Mais est-il vraiment dans leur intérêt de chercher une solution ?

E.B. // Moneyzine